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Parau , hīmene et fenua dans Matamimi de Stéphanie Ari’irau Richard

22. Otaheite Samuel Wallis (~1767)

2.4. Corps narré

À partir de l’enchevêtrement des vécus singuliers se déploient des possibilités de transposition, de migration (corporelle et notionnelle également), une véritable architectonique 307 de la relecture du corporel et de la retranscription de l’ontologie de la subjectivité (ou de la subjectité ontologique). L’écart constitutif de la médiation entre la « propriété de soi du Soi » et les multiples faces d’une réflexivité collective d’un corps-partage se dissout souvent dans la genèse de soi s’effectuant à travers l’ouverture du corps singulier comme surface de transfert ou comme membrane d’échange. Le texte fonctionne comme une auto-poiêsis : à travers les différents mouvements et trajectoires de la signification, de la représentation, du déphasage et de la (re)fonte du soi de l’auto-réflexivité de la narratrice formulée dans la recognition de soi comme sujet premier et parlant et l’appréhension de l’unité de soi comme être-ensemble et comme essence sous-jacente de l’acte signitif que représente la création et la narration de Matamimi, l’auteure cherche « une effectuation de la permanence dans le flux »308, l’itération de sa conscience nourrie de plusieurs dimensions génératrices.

Le corps est un paradigme conflictuel aussi : l’insistance sur le caractère dichotomique et paradoxal de la représentation du corps physique et mental joue un rôle central dans la constitution et dans le nuancement du noyau conceptuel de la corporéité présentée et interrogée dans Matamimi. Différents horizons identitaires apparaissent dans le flux de vécus, l’auteure s’interroge sur la

phénoménologique et à l’aspect abstrait de l’identité : « En deçà et au-delà / De nos identités originales / De nos appartenances communautaires / […] / De nos langues détournées, transgressées / […] / Des terres de nos îles morcelées, archipélagées, dispersées / […] / De nos ruptures, brisures, cassures / […] / Manques dans nos corps, de l’âme et de l’esprit en nos sociétés multiples / […] / Sur nos chemins de partage / L’apport par chacun de son brin de conscience / […]

/ Pour commencer à dire ensemble, / Avec nos mots, nos sonorités, nos musiques intérieures / La chose à transmettre / […] / Tailler, ajouter, renouer, rénover / Aplanir, étendre et retresser la natte humaine ». Devatine 2011 : 227-228.

307 L’architectonique, dans la terminologie richirienne, signifie « la recherche (tectonique) de l’origine phénoménologique (archi-) c’est-à-dire le phénomène rien que phénomène », et « la forme particulière de la structuration entre chaque moment phénoménologique […] à l’intérieur du champ des vécus ». Cf. Murakami 2002 : 12.

308 Ibid., 35.

problématique de la mise en chair, ainsi que sur l’extériorisation, l’aliénation et la non-immédiateté de son être par rapport à la société traditionnelle, aux habitants d’ascendance tahitienne.309

« Mon père, René. […] Mon papa, ce Français. Te Farāni, te Popa’ā310, mon papa. »311

« Matamimi, ma fille. Avec ta grand-mère, nous allons au marché de Papeete. C’est mieux que Mamie soit là, parce que je suis trop Popa’ā312, pas de bon prix pour moi ! Ta grand-mère parle le tahitien, elle sait choisir le mahimahi313 […] »314

« Je frappe tes jambes, je frappe avec le balai nī’au315, incontrôlable, en colère, jalouse […] Et tu cries que tu me hais : « sale Popa’ā, putain de Française qui veut se la jouer Tahitienne […] » »316

« Fidèlement au pépé Hascoët, moi sa petite-fille, Stéphanie Ari’irau, la petite-fille Popa’ā, rousse, et Tahitienne, perdue entre la France et son île natale […] »317

La même image d’une appartenance différée, éjectée est mise en texte dans « Si près de la vague » aussi. Le corps, l’identité sont en décalage par rapport au soi, l’auteure décrit, à partir de sa position singulière, l’expérience de la désappropriation, de l’impersonnalisation de la conscience318, l’évidence identitaire et

309 L’incarnation charnelle, la mise en corps (de l’écriture / par l’écrit) se manifeste dans un poème de Flora Devatine aussi : « Cœurement / Écris-moi… re / Chairement / Écris-toi…re / […] / Par l’écriture, je m’octroie des mots d’écrits des pays que j’habite / La poésie me permet des audaces, dont celle d’écrire à sec et à vide. / L’écriture est ma ciselure d’inscription ou à défaut de plume, je taille et j’aligne / Des bâtonnets porte-plume sans fin. » Devatine 2011 : 229.

310 POPA’Ā FARĀNI : Français de France. Richard 2006 : 130.

311 Ibid., 28.

312 POPA’Ā : étranger de race blanche, homme blanc, Européen. DictFV

313 Cf. note 282. enchaînements subjectifs. La fragilité et le caractère indirect de l’identification et de la conscience de soi se présente dans l’avortement et dans les rêves qui y sont liés :

« Un corps nu de femme, décapité, sans bras ni jambes, ondoie. Un corps colonisé par des serpents, fins et noirs […] un corps envahi de fougères mâles et femelles, de lianes, de lanières dénouées ». Ibid., 125.

l’unité du moi remises en question. L’avortement, ainsi que les horizons restrictifs et normatifs socio-culturels, fonctionne comme générateur d’écart, comme opérateur de fission et contrebalance l’articulation indivisible du moi en la décomposant en une pluralité de moi souvent présentés comme identification extérieure ou extériorisée, intuitionnée319 dans une distortion collective320 : l’auto-intuition et la définition de soi sont entravées et ne peuvent se concevoir qu’en tant que miroitements et répercussions centrifuges (l’auto-appréhension doit passer par l’horizon extérieur dévalorisant et diffractionnaire) : « E faufa’a ‘ora ta ‘oe parau ! »321.

Le corps subjectif remplit une fonction relationnelle, il est une localisation physique et abstraite d’une multiplicité de déterminations et dans sa qualité de corps-chose322, il est la chosification, la spatialisation d’une appartenance problématique. Le moi cherchant l’unité avec le pays natal est écarté, différé : le sondage, l’analyse des phénomènes constitutifs de cette distance révèlent un manque, un déphasage au niveau de l’assise de la conscience de soi.323

« Cent fois j’étais si près de la vague. J’aurais pu y plonger […]

J’aurais pu servir mon pays, comme je l’ai rêvé. Mais la vague a refusé de m’emporter. »324

L’activité liée au langage et à la parole doit être réévaluée et réinventée en permanence ; l’image de la langue comme horizon d’explicitation de l’identité à soi témoigne d’une privation : « […] cent fois j’aurais aimé posséder la parole fatale pour couper le son […] »325. L’architecture perceptivo-cognitive est régie par une imagerie auto-référentielle qui relève d’une quasi-transparence du corps et de la personnalité, d’une passivité, d’une distance, d’une singularité réduite, délimitée.

319 Le verbe « intuitionner » est à prendre ici dans le sens de comprendre, connaître, pressentir sans parcourir les étapes de la réflexion, de l’analyse, du raisonnement.

Cf. Fischbach 1999 : 55.

320 À savoir une déterminité privative de la plénitude des droits personnels, individuels, de l’estime.

321 « Ta parole ne sera pas prise en considération, ne sera pas considérée comme un bien, comme un patrimoine… ». Richard 2007b : 114.

322 Patočka 1995 : 59.

323 Jesus 2008 : 153.

324 Richard 2007b : 115.

325 Idem.

23. Vues des mers du Sud

John Martyn d’après John Cleveley le Jeune (1747-1786)

24. Vues des mers du Sud

John Martyn d’après John Cleveley le Jeune (1747-1786)

« Nous les corps éponges, on absorbe toute la haine, on ferme notre gueule, on gonfle de colère et puis la haine nous dévore, et le monde perd ses couleurs. »326

Le corps est explicité comme chair abstraite, extériorisée, projetée : la signification et la transparence du corps semblent affaiblies par la délocalisation des rapports, processus, pratiques et tendances problématiques. Dans ce cas, l’auto-constitution, l’affirmation de soi peuvent être conçues comme des mouvements faisant appel à un certain écart, à un champ de distance, à un horizon du moi327 déséquilibré, dissocié328. Le corps est une « vibration stationnaire »329 (stable et à la fois réceptive, sensible, flexible), une surface transitionnelle, tranférentielle entre un substrat culturel, identitaire et de nouveaux apports exogènes qui absorbe et incorpore la multiplicité des influences.330

« Si près de la vague, les enfants du pays sont si près des vagues. Mais jamais elles ne les emportent loin d’ici. Peuple d’écorchés vifs massés au monoï331 à la sortie du ventre de leurs mères. Les imposteurs sont si près d’eux, qui se font passer pour eux, parlent à leur place, stigmatisent le mal ailleurs, hexagonal, peuple d’écorchés vifs où chaque mensonge brûle un peu plus leur vie. »332

326 Ibid., 116.

327 Patočka op. cit., 67.

328 Chantal Spitz, dans son texte « Des mots pour dire les maux », traite de l’écart constitutif qui caractérise les processus identitaires, l’interprétation critique et l’appropriation des systèmes et univers de perception historico-politique dans une relation de transposition du centre de référence (plaçant l’auto-détermination et l’entendement dans la sphère interne des Tahitiens : « nous sommes là pour les mots / les mots pour faire acte d’historicité / les mots pour nous ré-approprier nos mémoires / les mots pour dire l’histoire gorgée de nos sensibilités / […] / nous sommes là pour / résister à l’Histoire toujours dite aux filtres de critères français / […] / [nous-mêmes] dans une auto-dépréciation mortifère / […] / colonisation qui nous a exilés de notre propre temporalité / nous a exclus de notre territorialité / nous a expulsés de l’histoire de l’humanité / […] / nous sommes là pour / dire les mots de notre histoire / reprendre la parole confisquée ». Spitz 2008 : 11-21.

329 Patočka op. cit., 70.

330 Concernant l’acceptation et l’influence de l’écriture cf. Sudul 2010 : 85-102.

331 Cf. note 283.

332 Ibid., 117.