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La question de la rime

In document Cahiers d'études (Pldal 116-120)

Peut-on traduire en français la poésie d'Attila József ? ( rimes, réseaux et concepts )

II. La question de la rime

La plupart des « adaptations » parues en français prennent évidemment pour principes ceux de la prosodie française — en premier lieu, la rime. Cette rime se

On verra, en revanche, que dans bien d'autres poèmes d'Attila József, interviennent des « ré-seaux » de connotations, qui, eux, sont signifiants.

retrouve quasi-systématiquement dans chaque adaptation d'Attila József, à de rares exceptions près : telle celle, par André Dalmas ( et d'après la traduction d'Albert Gyergyai ), du poème Eszmélet ( trop souvent traduit par Eveil, alors qu'une approxi-mation plus fidèle, tant au titre qu'au contenu du poème, serait bien plutôt Pleine conscience, ou éventuellement « Prise de conscience »). Si l'on prend comme « monde de référence » la métrique hongroise — plus précisément, la métrique qui, dans la poésie hongroise, s'est calquée sur la gréco-latine — l'importance de la rime est cause qui peut se défendre3.

En revanche, dès lors qu'on aborde le problème de la traduction, on s'aperçoit que cette attention extrême qu'ont portée les adaptateurs français à 1' « intouchable rime » est nuisible à un bon rendu des poèmes d'Attila József, dans la mesure où elle fige le poème, de façon artificielle ; orientant délibérément la fin de vers, elle bloque toute une foule de possibles, et, la plupart du temps, aura pour effet de dévier le sens global.

On sait par ailleurs que le hongrois, étant langue dite « agglutinante », pourra très souvent avoir recours, en particulier, à la suffixation ( ajout de suffixes grammaticaux ), dans la construction de la rime : c'est ce que nous appellerons ici rime grammaticale.

Ainsi, dans beaucoup de ses poèmes de la fin des années 1920 ( essentiellement, pendant l'année 1928, dans deux poèmes aussi fréquemment commentés que Klárisok : Collier de corail — et Ringató : Bercement ), la rime est ainsi construite : dans Klári-sok, sur le retour du suffixe « -on » ( en français : « sur », avec absence de mouve-ment ), ainsi que du suffixe « -ása » ( forme nominalisée en « -ás », suivie d'une marque de génitif, en »-a ») ; de même, dans le second poème, on retrouve une utili-sation du même type : retour d'un suffixe grammatical composé, à savoir, de la combi-naison : « -ás » ( forme nominalisée d'un verbe ), et de « -val » ( qui ici, par règle phonétique, s'assimile à « -sal », et qui marque un cas « comitatif », ou « d'accompa-gnement »).

En français, on aura, bien entendu, la possibilité de reconstruire de tels parallé-lismes grammaticaux, mais la plupart du temps, ce n'est pas en fin de vers qu'ils réapparaîtront, et ce pour des raisons d'agencement syntaxique différent en hongrois et en français.

Je ne m'étendrai pas davantage sur le sujet de la rime chez Attila József ( en fait, sur les diverses possibilités de la rime en hongrois ), mais hasarderai quelques brèves remarques.

2. Le « sacro-saint respect de la rime », j'entends par là, de la rime « à la fran-çaise », où la syllabe finale du vers cumule, et parallélisme vocalique ( assonance ), et parallélisme consonantique ( allitération ), serait en fait plaquée, de façon très artifi-cielle, sur les structures rimées qu'emploie, de façon infiniment souple et variée, Attila József, — avec, en particulier, une extraordinaire faculté à « sauvegarder » de fait un élément phonique fondamental pour provoquer un effet rimé ( ainsi, apparition, dans des vers adjacents, de phonèmes très proches, pour ce qui concerne le point et le mode d'articulation : par exemple, paires -dt et -tt, ou encore, syllabes où la voyelle seule, On pourra, sur ce point, se référer aux publications d'Iván Horváth, sur la métrique ancienne hongroise ( en particulier, article à paraître sur la prosodie de Bálint Balassi, Budapest, prévu pour 1995, titre non encore défini ).

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en fin de vers, se trouve « accordée », la ou les consonne[s] étant négligées ). Ceci apparaît surtout dans la période « finale » d'Attila József ( située, pour aller vite, entre 1933 et 1937 ) : période d'une très grande créativité, avec, successivement, les œuvres majeures que sont Oda ( Ode ), en 1933 ; Eszmélet ( Pleine conscience ), en 1934 ; Levegőt ! ( De l'air ! ), en 1935 ; A Dunánál ( Au bord du Danube ) et Amit szivedbe rejtesz ( Ce que tu cèles dans ton coeur ), en 1936 ; Költőnk és Kora ( Notre poète et son temps ), en 1937 ... et bien d'autres encore. Mais l'essentiel reste la chose sui-vante : il suffit de lire à voix haute n'importe lequel de ces poèmes pour s'apercevoir que l'effet lyrique qui leur a valu tant d'admiration est obtenu par tout autre chose qu'un « segment de fin de vers », tant le mouvement est ample, et les résonances phoniques, en divers lieux.4 II va de soi que je passe ici sous silence, en fait, une part essentielle à savoir, la richesse de leur contenu lyrique, philosophique et idéologique

— mais ce n'est pas mon propos.

J'aimerais d'ailleurs signaler un phénomène : si, tout au long de sa carrière poé-tique, Attila József a souvent eu recours à des formes métriques traditionnelles ( essen-tiellement, le sonnet ), la façon même dont il a utilisé ces formes, la distance qu'il a prise par rapport à elles — un certain ton — apparaît surtout dans cette dernière période. Il y a par exemple les Hexaméterek ( Hexamètres ), au tout début du poème Flóra ( Flora ) de 1936 ; il y a aussi — et surtout — l'utilisation extrêmement ironique de la rime, dans Születésnapomra ( Pour mon anniversaire ), poème écrit en 1937, à l'occasion du tout dernier anniversaire du poète. On connaît surtout le sommet ironique

— pour lui, jeune étudiant chassé de l'Université — de la rime des deux derniers vers, où :

« [...] taní-tani ! »

se trouve victorieusement « coupé en deux »5

Dans les traductions françaises, je refuserais, pour ma part — à cause de son peu de véritable pertinence, en regard des autres problèmes métriques à traiter, mais aussi, et surtout, à cause de la « déviation de sens » qu'il induit presque toujours — le principe de « la rime à tout prix », et préférerais deux grands procédés :

4 Ainsi, dans le poème Balatonszárszó ( Sept. 1936 ), on aurait :

« [ ...] Kell már ahhoz a testhez is az ágy, mely úgy elkapott, mint a vizek sodra.

Becsomagoljuk a vászonruhát

s beöltözünk szövetbe, komolykodva «, qui donnerait en éventuelle traduction :

« [ ...] Mon coeur lui aussi a besoin de son lit, qui déjà l'a saisi, tel le courant des eaux.

On range nos habits de toile,

et, gravement, on en met de plus chauds. ».

5 Je proposerais ici pour traduction :

« [ ... ] que ferai don de ma leçon ! ».

— d'une part l'utilisation, dans la mesure du possible, d'allitérations et d'asso-nances, à l'intérieur du vers, comme j'ai tenté de le faire dans la traduction que je propose, du poème Mióta elmentél ( Depuis que tu t'en es allée ) ; la perte des rimes peut s'y voir « rattrapée », en quelque sorte, de la façon suivante, puisque :

« [ ...] dühödten hull a törékeny levél ...»

devient :

« [ ...] et la feuille fragile s'affaisse, avec fureur ...»

— le second procédé aurait pour rôle central la restitution du rythme du vers hongrois, fondé essentiellement ( comme, d'ailleurs, dans beaucoup d'autres langues, y compris une langue indo-européenne comme l'anglais ), sur l'alternance de voyelles « brèves » et de voyelles « longues » et sur la succession des syllabes accentuées et inaccentuées, que nous ne trouvons pas en français : en revanche, nous possédons notre fameux « e muet »6. L'utilisation, en français, du « e muet », constitue une formule souple et extrêmement maniable, pour marquer « temps forts » et « temps faibles », puisqu'elle intercale un « souffle », une pause légère à l'inté-rieur du vers — ou, éventuellement, en finale. J'ai tenté d'en donner quelques exem-ples dans les traductions jointes à la fin de cet article, et, en conséquence, ne m'é-tendrai pas davantage.

Je terminerai toutefois par un problème essentiel : qui donc peut traduire de la poésie, et en quoi ce type de traduction diffère-t-il de celui de la prose ? Cette question dépasse le cadre que je me suis ici assignée, à savoir, la traduction de l'oeuvre poétique d'Attila József. Je me bornerai à indiquer que je m'inscris en faux contre deux assertions de László Gara dans la revue Arion, en 1966 ( cf.bibliogra-phie ; art.cit., p. 113 ) :

1. « Seul un poète peut traduire un autre poète [ . . . ] . »

2. « Pour donner une adaptation de valeur, il n'est pas absolument nécessaire de connaître la langue du texte original [ ...] »

Mon article n'est pas le cadre d'un tel débat. Pour toute réponse, il me semble néanmoins tout à fait à propos de se référer à l'excellent article de Roger Caillois, aux pp.32-37 du même numéro d' Arion ( à nouveau, cf.bibliographie ) où se trouvent présentés une série d'arguments auxquels j'adhère sans réserve.7

6 On pourrait, sur ce point, citer l'excellent ouvrage publié en 1987 par Jean-Claude Milner et Jean-François Regnault : Dire le vers : court traité à l'intention des acteurs et des amateurs d'alexandrins ; cf. bibliographie.

7 J.Rousselot, l'un des « adaptateurs » les plus connus des poèmes d'A.József, reconnaît lui-même : « Je suis [ . . . ] persuadé que, si je connaissais, ce qui s'appelle connaître, le hongrois, [...] j e ferais des adaptations infiniment supérieures à celles que j ' a i faites jusqu'alors. » ( v.re-vue Arion, 1966, p.91 ; cf. bibliographie ).

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