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L’œuvre d’art et sa description littéraire

In document Les No�elles Muses (Pldal 133-138)

La veine ludique

V. 2. L’œuvre d’art et sa description littéraire

L’idée d’une fraternité des arts est enracinée dans la pensée humaine depuis la plus haute Antiquité. On trouve la première mention de la comparaison de la poésie et de la peinture chez Simonide de Cos (556-468) : « la poésie est une peinture parlante et la peinture une poésie muette »249. Platon dans sa République affi rme que « le poète est comme un peintre »250, tout comme Aristote qui, dans sa Poétique, emploie souvent l’expression « c’est comme dans la peinture »251.

En France, depuis le XVIe siècle, la formule lancée par Horace dans son Art poétique est érigée en dogme : la poésie est — ou même doit être —, comme la peinture. Bien qu’Horace veuille dire tout simplement que la poésie ressem-ble à la peinture en ce que certains poèmes, tout comme certains taressem-bleaux, ne nous plaisent qu’une fois et que d’autres, toujours redemandées, plairont toujours252.

Le précepte horacien est à l’origine de la pratique des peintres et des poètes pendant de longs siècles. Ceux-là s’inspiraient des thèmes littéraires, ceux-ci

248 Horace, Art poétique, v. 361.

249 Cité par Plutarque in Gloria Atheneiensum, ch.III.

250 x. 605a.

251 ώσπεφ οι γραφεις (1448a. 5.)

252 Cf. v. 361-364 :

« Ut pictura poesis : erit quae, si propius stes, Te capiat magis, et quaedam, si longius abstes.

Haec amat obscurum ; volet haec sub luce videri, Judicis argutum quae non formidat acumen ; Haec placuit semel, haec decies repetita placebit .»

s’efforçaient de faire voir le lecteur. De l’idée de la collaboration entre les arts, on passe à celle de l’émulation ouverte.

Les poètes français du XVIIe siècle connaissaient les exemples les plus il-lustres des ecphraseis que leur a léguées l’Antiquité253. On connaît la fortune des épopées homériques et virgiliennes, sources inépuisables des ecphraseis.

Celle du bouclier d’Achille au chant XVIII de l’Iliade, constitue à jamais le pa-rangon classique du genre. Celui-ci triomphe, à la Renaissance, avec l’édition, en 1503, des maîtres alexandrins, des Ecphraseis de Callistrate254 et les Eicones des deux Philostrate255. Les Eicones du premier Philostrate256 ont connu une carrière particulièrement brillante en France, grâce à la traduction que Blaise de Vigenère en a faite en 1578, sous le titre des Images ou tableaux de platte-peinture257. L’œuvre a inauguré la mode des cabinets poétiques, dans lesquels les poètes se proposent de commenter les pièces d’une exposition imaginaire.

Ainsi, en 1646, Georges de Scudéry publie Le Cabinet258, comprenant plus de cent poésies décrivant tableaux, dessins et gravures. Dans sa préface, Scudéry nomme son modèle italien, le cavalier Marino, et fait l’éloge de l’auteur de la Galeria259. Dans les deux cas, il s’agit de faire de la poésie à l’occasion d’une œuvre d’art. Celle-ci est utilisée comme une première impulsion grâce à la-quelle se développera une idée traduite dans une composition verbale260. Les poésies ne visent pas à donner une description fidèle des œuvres, elles ne prétendent pas à reproduire sur leur propre terrain l‘œuvre d’art. Ce sont des jeux spirituels destinés au public mondain, à la manière d’un livre d’initiation.

Le Cabinet convie le lecteur à une promenade et une initiation esthétiques,

253 Cf. Klára Csürös, « La fonction de l’ekphrasis dans les longs poèmes », Nouvelle Revue du Seizième Siècle, 1997, N° 15/1, P. 169-183.

254 Les Ecphraseis de Callistrate décrivent des statues antiques.

255 Icones Philostrati… Icones junioris Philostrati, Descriptiones Callistrati, Venetiis, in aedibus Aldi, 1503.

256 Le sophiste grec, au début du IIIe siècle, a décrit soixante-cinq tableaux vus dans une galerie napolitaine

257 Les Images ou Tableaux de Platte Peinture de PHILOSTRATE Lemnien Sophiste Grec, mis en François par Blaise de Vigenère, Avec des Arguments et Annotations sur chacun d’iceux, Paris, Nicolas Chesneau, 1578.

258 Le Cabinet de Mr de Georges de Scudéry, gouverneur de nostre dame de la garde, Paris, Augustin Courbé, 1646.

259 La Galeria del Cav. Marino, Venise, Ciotti, 1620.

260 Yves Giraud, « Le Cabinet de Georges de Scudéry » in Marseille au XVIIe siècle, 10e colloque de Marseille organisé par le Centre Méridional de Rencontres sur le XVIIe siècle, 25-27 janvier 1980, p. 145-154.

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mais il lui offre également une grande leçon de la morale. Chose curieuse, Richelieu, mort depuis 1642, domine encore le recueil. Scudéry lui consacre le plus long texte de la collection qui, avec ses deux cent dix vers, apparaît comme la clef de voûte de l’ensemble261.

Ce qui surprend en 1646 est parfaitement dans l’ordre des choses en 1633.

Les pièces consacrées à la statue de Didon ne manquent pas de se référer à Richelieu, protecteur conscient des artistes. Par sa présence, le recueil est in-contestablement lié à l’actualité et l’ecphrasis de l’œuvre d’art n’a qu’un intérêt secondaire. L’objet décrit s’estompe alors sous l’amas des formules toutes fai-tes. Les poètes trouvent dans l’œuvre d’art un support abstrait, un prétexte à des jeux d’esprit et des tournures raffinées. Ce jeu n’a valeur ni de description ni d’explication, la plupart des pièces n’ont d’autre contact avec l’œuvre que le thème même. Ainsi, le lien entre l’art du sculpteur et celui du poète est très lâche. Les poèmes ne se substituent aucunement à l’œuvre. Celle-ci n’a qu’à évoquer une intrigue. Quant à l’idée de la fraternité des arts, la position des poètes peut surprendre. En comparant l’art de Cochet à celui de Virgile, ils admettent la supériorité du premier, soit celle de l’expression plastique à l’ex-pression poétique, renversant par là le lieu commun du genre.

Il serait bien sûr inutile de pousser trop loin l’analyse des pièces réunies dans Les Nouvelles Muses en tant que réalisations de l’ecphrasis classique. Sous la plume des poètes courtisans adaptant le procédé à leur besoin, l’ecphrasis de-vient un moyen de féconder l’expression poétique. L’évocation d’une œuvre d’art s’insère dans l’arsenal thématique pour qu’elle serve à illustrer, à intensi-fier un message artistique, moral ou même politique.

Reste le problème de l’identification des auteurs. Aucun des poèmes consa-crés à la statue de Didon n’est signé dans le volume. Quelques uns sont publiés dans Le Sacrifice des Muses, toujours sans nom d’auteur.

Nous avons systématiquement cherché dans les œuvres complètes des poè-tes figurant dans la première partie de notre recueil. La lecture des Poésies262 de Claude de Malleville a apporté un succès partiel. Nos recherches, assidues, dans les fonds anciens des bibliothèques parisiennes ont également apporté d’heureux résultats. Le manuscrit 19145 de la Bibliothèque Nationale contient plusieurs des poèmes français de notre collection, aussi bien que le riche trésor des recueils de Conrart.

261 Dominique Moncond’huy, « Poésie, peinture et politique : la place de Richelieu dans Le Cabinet de M. de Scudéry », XVIIe siècle, 1989, 1, p. 417-435.

262 Claude Malleville, Poésies, Paris, Augustin Courbé, 1649.

Nous avons même élargi nos investigations aux écrits des contemporains susceptibles de participer à une pareille entreprise poétique. Ainsi, c’est un peu par hasard que nous sommes tombée parmi les œuvres de Colletet sur un madrigal figurant dans notre recueil.

Hélas, les pièces identifiées ne constituent qu’une faible partie de l’ensemble étudié. L’entreprise des poètes garde encore ses secrets.

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