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Jean Habert, Paraphrase du psaume L. Miserere

In document Les No�elles Muses (Pldal 124-128)

La veine religieuse

IV. 4. Jean Habert, Paraphrase du psaume L. Miserere

Le recueil contient une autre paraphrase, celle du psaume cinquante (Miserere).

L’attribution de la pièce est problématique, puisqu’elle a été publiée sans nom d’auteur. Faute de documents certains, nous suivons Frédéric Lachèvre qui attribue le texte à Jean Habert, conseiller du Roi et président au bailliage et siège présidial de Beauvais.

Le poème est l’exemple du lyrisme personnel dans son état le plus pur : la pénitence du pécheur. La pénitence est chantée pour elle-même : elle ap-paraît comme un des thèmes de prédilection de ce premier XVIIe siècle.

En l’honneur du sacrement de la Pénitence, que les protestants rejetaient, les artistes catholiques représentaient volontiers des St. Pierre repentants, des Madeleines pénitentes. L’influence de l’Italie est bien sûr primordiale, surtout depuis la publication en 1560 de l’œuvre grandiose de Luigi Tansillo232. Le la-grime di S. Pietro du poète italien a obtenu un tel succès qu’il a donné nais-sance à des œuvres analogues pas seulement en Italie, mais en France aussi233. Cette poésie dite lacrymatoire a inspiré Malherbe aussi, qui dans les Larmes de S. Pierre, suit très près l’œuvre de Tansillo234. Ce long poème – le plus long qu’on a conservé de Malherbe –, est le premier de ses œuvres qu’il ait jugé digne d’une publication. Plusieurs fois rééditée et réimprimée dans différents recueils collectifs, la pièce a connu un très grand succès. Bien sûr, le temps est venu, lorsque cette œuvre éminemment baroque n’a pas pu contenter son auteur devenu législateur du Parnasse : Malherbe a désavoué son poème.

Pourtant les imitateurs sont nombreux et la paraphrase de Jean Habert n’est certes pas exempte de l’influence malherbienne.

Les 26 lourds dizains rehaussés d’images abstraites donnent l’occasion au poète de s’accuser de ses fautes les plus graves. C’est le chagrin profond du cœur qui s’exprime dans les strophes, en prières, en exclamations doulou-reuses ou en tragiques formulations. C’est l’angoisse de l’homme s’avouant coupable devant Dieu, juge suprême de ses péchés. Le thème se prête bien évidemment à de nombreuses antithèses – d’un côté l’abjection du pécheur, de l’autre la souveraine bonté de Dieu –, et le poète ne manque pas d’user de cette

232 Cette première version de 1560 est de 42 octaves, mais en 1585, l’œuvre a été rééditée et amplifiée en 911 octaves.

233 Le succès a même donné naissance en Italie à un recueil de poésie, la Nuova raccolta di lagrime di piu poeti illustri, publié en 1593.

234 Nous devons l’analyse de ce poème à Raymond Lebègue in La poésie française de 1560 à 1630, Paris, SEDES, 1951, t. II., p. 13-20.

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figure si chère au baroque. Les premiers vers du poème placent le pénitent entre le regret de la faute et la crainte du châtiment et cette dualité se maintient tout au long du texte. Elle exprime la détresse et l’incertitude de l’homme qui se reconnaît pécheur et souhaite obtenir la grâce salutaire de Dieu. Mais en même temps il craint la damnation méritée. Le regret est sincère, le pénitent avoue ses crimes, ses noirceurs exécrables, ses forfaits. Il fait appel à un Dieu de paix et sans armes dont la clémence est offerte aux pécheurs aussi bien qu’aux justes. Il se dépeint comme une âme née rebelle et coupable, une vic-time de ses conditions. Il avoue porter un lourd héritage : sa façon de vivre, son mépris envers la religiosité est celle de ses ancêtres. Son repentir constitue une rupture avec sa vie d’autrefois, et s’accrochant à ce petit reste du feu divin qu’il a en lui, il promet une vie toute nouvelle.

La traduction de Habert se veut être fidèle, autant qu’une paraphrase en vers pompeux du XVIIe siècle peut reproduire le texte biblique. C’est une composi-tion soignée, le poète a visiblement voulu faire œuvre littéraire. Aux dix-neuf versets du psaume correspondent vingt-six dizains d’octosyllabes. Les quel-ques amplifications sautent aux yeux, car le texte de la vulgate est imprimé en manchette des pages. Nous pouvons ainsi distinguer quatre strophes qui, étant de pures amplifications, peuvent retenir notre attention.

Ces strophes s’intercalent dans le texte de la paraphrase comme de petites digressions. Ce sont des vers solennels qui évoquent la magnificence roya-le, l’orgueil des puissants ainsi que l’ambition des flatteurs séduits par une beauté périssable. C’est le vocabulaire du poète courtisan. Le pénitent fait de sa condition présente et de ses péchés des tableaux généraux. La première di-gression (strophe 3) projette le destin des humains sans la Providence. Sans la clémence salutaire de Dieu, la terre n’est qu’un désert et les créatures sont vouées à la disparition. La deuxième (strophe 8) évoque la toute puissance de Dieu, devant qui les hommes sont égaux : roi et esclave sont également soumis à sa volonté. La troisième (strophe 20) est en effet inséparable de la strophe précédente. Le pénitent s’imagine dans l’état d’être sauvé et offre à son Dieu son service. La digression consiste cette fois-ci en la description de la foule des pécheurs qui suivront son exemple. Le dernier développement (strophe 24) par rapport à l’original fait partie de la prière finale que le pénitent adresse à Dieu. S’il amplifie le texte biblique, c’est pour s’adonner à une dernière im-ploration qui ressemble à une péroraison.

La paraphrase de Habert est un exemple de poésie religieuse grandiloquente.

Comme les autres paraphrases de l’époque, elle s’adapte aux attentes du pu-blic mondain. Le poète se sert des procédés traditionnels de la rhétorique : les

invocations, les interrogations et les exclamations y abondent. L’expression est solennelle, mais Habert s’efforce de discipliner son inspiration selon les princi-pes malherbiens. Sans aucun excès du goût, son art est assujetti aux règles de la politesse du langage et de la technique poétique instaurées par le réformateur.

Toutefois, lui aussi, comme les autres successeurs de Malherbe en cette pre-mière moitié du XVIIe siècle, a subi l’influence du grand courant de l’art baro-que. Dans son œuvre, on chercherait en vain les qualités de raison, de naturel ou de pureté telles que Malherbe les définit pour toute poésie. La retenue des sentiments, la sobriété, l’équilibre et l’harmonie de l’ensemble sont encore un idéal à atteindre. Malherbe a posé de nouveaux principes de création poéti-que, auxquels ni lui, ni ses successeurs immédiats n’ont pu se conformer par-faitement. On sait que c’est le destin de tout réformateur en matière des arts.

Formuler une théorie qui prétend rompre avec les usages prévalant jusqu’alors et la réaliser immédiatement dans la pratique artistique est quasiment im-possible. Il l’était, même pour un prédécesseur aussi ambitieux que Ronsard qui, tout en proclamant son détachement par rapport à la tradition médiévale, y a puisé largement. Malherbe lui non plus, n’a pas pu échapper à l’influence prépondérante du baroque., pas plus que ses disciples et ses successeurs qui se réclament de l’enseignement du maître.

La poésie religieuse, un domaine privilégié du baroque, maintient encore plus longtemps et d’une manière particulièrement sensible les effets et les ten-dances de l’esthétique baroque. C’est là que les poètes éprouvent le plus de difficultés pour se conformer aux principes malherbiens. En fait, il n’y a pas de séparation absolue entre la poésie religieuse des successeurs de Malherbe et celle des sectateurs attardés de Desportes235. Ce fait suppose un bon nombre de caractères communs entre la production religieuse des poètes de l’épo-que et ceci presl’épo-que indépendamment de l’école à lal’épo-quelle ils appartiennent.

Le choix des paraphrastes pour certains textes bibliques témoigne de la pa-renté d’esprit des poètes. Ils privilégient certains psaumes, comme ceux de la pénitence, avec leur désespoir et leur flot de larmes ; ceux des hymnes à la louange du Créateur, avec leur exaltation et leur somptuosité ; ceux de suppli-cation, avec leur éloge hyperbolique et leur pompe ; enfin ceux de l’exil avec leur mélancolie et le souvenir d’une patrie lointaine236.

Cette poésie tellement riche de sentiments et de sensations se caractéri-se par l’évocation des réalités physiques qui caractéri-se font tantôt horribles, tantôt

235 Paulette Leblanc, op. cit., p. 258.

236 Nous devons cette typologie des psaumes à l’étude de Paulette Leblanc, op. cit., p. 258.

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merveilleuses : les scènes de souffrance et celles de bonheur font appel à la sensibilité du lecteur. Les œuvres ne manquent pas d’enflure et d’hyperbole ou d’épaisseur d’effet, même pas chez les poètes se déclarant malherbiens. Car le réformateur n’a pas pu stopper l’évolution d’une poésie qu’on peut nommer baroque, précieuse ou tout simplement irrégulière, et surtout pas dans le do-maine religieux.

Les paraphrastes pratiquent à des degrés divers les procédés de style propres au baroque. Toutefois les poètes de la nouvelle école se font remarquer par leur goût d’une forme poétique et syntaxique raisonnable. Ils s’abstiennent des ex-cès du style et font preuve le plus souvent d’une prudente modération. Paulette Leblanc les définit ainsi :

Tous les poètes lyriques successeurs de Malherbe n’écrivent pas purement, ne riment pas richement, mais tous voudraient le faire et cette conscience qu’ils ont de leur métier d’écrivains et de poètes se fait sentir tout natu-rellement dans la façon dont ils traitent le contenu lyrique lui-même. A l’inverse des successeurs de Desportes qui tombent dans le grossier ou le burlesque, les poètes de la nouvelle école se gardent généralement sinon toujours de l’un comme de l’autre, même lorsqu’ils emploient des expres-sions réalistes ou triviales237.

C’est loin d’être le rêve du réformateur. La paraphrase de Malleville, comme celle de Habert, aurait certainement mérité quelques becquets de la part de Malherbe annotant ses disciples.

237 Paulette Leblanc, op. cit., p. 259.

CHAPITRE V

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