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L'INTELLIGENTSIA HONGROISE DE VOÏVODINE

moi pas blairer relents de ragoût national moi faire de l'étranger patrie pliaportable moi partir étranger (István Domonkos : « En mal de gouvernail », trad. Marc Martin) (argument)

Cet article tente d'examiner l'activité éditoriale d'une revue culturelle hongroise née sur l'initiative des réfugiés de la Yougoslavie des guerres balkaniques, en particulier ses recherches qui s'intéressent au profil identitaire du migrant.

Comme il s'agit d'un processus évolutif, nous allons aborder les textes à caractère biographique produits par les membres de la rédaction, autant de représentants d'une génération traumatisée de l'intelligentsia « m i n o r i t a i r e » . Les étapes de l'Ex Symposion, fondée en 1992 et paraissant régulièrement depuis cette date, conduisent d'une déterritorialisation à une reterritorialisation ; elles témoignent d'une convergence de stratégies individuelles, issue de l'expérience collective de la condition minoritaire.

(espaces)

Pour comprendre la mutation des espaces au miroir des noms, un bref rappel historique s'impose. La minorité hongroise1 est une minorité nationale « par contingence », c'est-à-dire issue d'un effondrement étatique. A la sortie de la Grande Guerre, la Hongrie se voit privée de deux tiers de ses territoires et d'une importante population magyare, dispersée désormais dans les pays voisins. Le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes hérite de la région appelée historiquement « Délvidék », divisée à son tour en trois provinces : la Bácska (Baèka/Bacska), le Bánság (Banat) et le Szerémség (Srem/Syrmie)~ Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Bacska redevient hongroise, la Syrmie croate, alors que le Banat est occupé par les Allemands. Les frontières yougoslaves sont rétablies en 1945 et la Voïvodine qui correspond grosso modo aux anciennes provinces de la Bacska et l'ouest du Banat devient une région autonome. C'est le régime de

' Yves Plasseraud, Les minorités, Ed Montchrestien, Paris. 1998

2 Le Délvidék (signifiant « la région du midi ») comprenait aussi le sud du comitat Baranva. croate de nos jours, et le Banal roumain d'aujourd'hui

Milosevic qui met fin à ce statut privilégié ; aujourd'hui, la Voïvodine cherche à récupérer son statut d'autrefois au sein de la République de Serbie. Quant à la minorité hongroise, elle est présente surtout dans la Bácska.

La Voïvodine, dont le nom slave signifie « capitainerie », prend naissance au dix-neuvième siècle, en conséquence de la défaite de la révolution hongroise de 1848. Création impériale destinée à récompenser la population fidèle aux Habsbourg, elle assure aux Serbes un statut d'autonomie éphémère, révoqué en 1860. Si pour les hungarophones, ce nom représente d'abord une première étape de séparation avec la mère-patrie, à l'époque titiste - où cette séparation semble définitive - il revêt un sens positif avec l'autonomie prévue par la constitution yougoslave qui garantit les droits minoritaires dont l'usage de la langue hongroise au niveau institutionnel.

Durant l'ère de Milosevic et les guerres successives (slovène, croate et, surtout, bosniaque), l'espace voïvodinois, privé de son autonomie, devient terre de refuge mais aussi terre bombardée ; un nombre considérable de Magyars se réfugient à l'étranger. L'ancienne mère-patrie devient alors une destination de choix.

Il suffit cependant d'examiner les statistiques d'immigration hongroises' pour écarter très vite l'idée reçue que la minorité nationale magyare s'est établie essentiellement en Hongrie. Selon le dernier recensement yougoslave (1991), à la veille de la guerre slovène il y avait presqu'un demi-million de Hongrois dans le pays. Les estimations d'aujourd'hui donnent moins de 250 000 (290 207 en 2002).

Si jusqu'en 1994, seul 1500 ressortissants yougoslaves ont «té naturalisés hongrois, jusqu'en 1999, 5000 personnes ont reçu le statut de réfugié [menekült] et 69 000, le statut d'accueil provisoire [menedékes]. En Hongrie, on dénombre, entre 1988 et 1999, près de 150 000 de réfugiés issus de divers pays, avec la répartition ethnique suivante : en 1991, des 48 000 réfugiés, 53% sont des Croates, en 1992, des 15 000, 44% sont des Bosniaques ; au total, le nombre des réfugiés arrivés de Yougoslavie se situe à 84 800 personnes mais seul 16000 d'entre eux ont obtenu le statut d'immigré [bevándorlój, ceux-ci pour la plupart des Hongrois. Cela indique clairement que la chute dramatique de la population magyare en Voïvodine n'est pas la conséquence d'une émigration vers la mère-patrie mais bien d'une fuite vers d'autres contrées. Notons cependant que 35% de ces immigrés voïvodinois ont une profession d'intellectuel. Il apparaît donc que la minorité hongroise de Voïvodine a été amputée de son intelligentsia, celle-ci ayant choisi pour terre d'exil la Hongrie.

(déterritorialisation)

Il est inévitable d'évoquer à présent les composantes de l'identité culturelle voïvodinoise magyare. Les Hongrois de la Voïvodine de l'entre-deux guerres s'emploient à forger une conscience minoritaire ancrée dans l'identité régionale,

Tóth Pál Péter, «Jugoszláviából Magyarországra» in Gabrityné Molnár Irén, Mirnics Zsuzsa (éd) Fészekhagyó vajdaságiak (Voïvodinois migrateurs). Szabadka M T T , 2001

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sous la direction de Kornél Szenteleky et la revue Kalangya4. Leur tâche est difficile car cette identité culturelle se ramène pratiquement à l'étiquetage facétieux de Kosztolányi d'une « Szabadka poussiéreuse et vineuse »'. La voie à suivre dans ce « défrichage » sera donc celle de la survalorisation du paysage. Malgré les efforts déployés, aucun chef d'oeuvre littéraire ne voit le jour alors que le provincialisme est de mise; les auteurs développent une esthétique « l a c u s t r e »6. Si la tendance majeure se résume à sauvegarder les valeurs hongroises traditionnelles, on observe -par le biais des traductions - un début d'ouverture vers la culture des voisins slaves, fruit surtout d'une loyauté citoyenne. Le vent de liberté intellectuelle qui souffle dans la Yougoslavie de Tito à l'aube des années soixante permet la création, dès 1963, d'une nouvelle revue en langue hongroise intitulée Új Symposion, à Novi Sad ; d'orientation avant-gardiste et postmoderne, elle regroupe la fine fleur des jeunes auteurs. La revue publie en hongrois des textes de grands auteurs occultés dans le camp socialiste, tel Michel Foucault ou Vladimir Nabokov, et devient rapidement terre d'accueil aussi pour les auteurs de Hongrie frappés par la censure. Pour la première fois, le rôle du « pont interculturel » de la minorité devient authentique, et l'intérêt pour l'autre réel. Ce n'est plus un hasard si l'Histoire de la littérature hongroise de Yougoslavie d'Imre Bori va même récuser la métaphore d'Illyés de la flûte de Pan7 : une conscience « yougo-magyar » est en train de naître.

La consolidation identitaire n'a pas la vie longue et la revue connaîtra un triste sort. En 1983, les activistes du Parti communiste montent un procès de toutes pièces contre les membres de la rédaction, en les accusant, entre autres, de pornographie, incompatible avec les mœurs socialistes. A l'issue du procès, la rédaction est démise et ses membres réfractaires, poètes et écrivains de la jeune génération, licenciés. La revue est reprise en main par la vieille garde, adepte des idées de Szenteleky, ces mêmes idées contre lesquelles les fondateurs s'étaient rebellés. Le rédacteur en chef, János Sziveri, figure emblématique de sa génération, quitte le pays et s'installe en Hongrie. Ses compagnons d'armes le suivront une décennie plus tard : fuyant l'appel guerrier du drapeau yougoslave, c'est dans la ville de Veszprém, dans l'ouest de la Hongrie, qu'ils vont trouver refuge. Décidés de continuer dans l'audacieux sillage d'autrefois, en 1992, ils refondent la revue sous le nom d'£x Symposion, choix qui veut refléter aussi bien la continuité d'idées d'un passé littéraire qu'une territorialité vouée désonnais aux manuels d'histoire. Dès les premiers numéros thématiques, il apparaît que, parallèlement à une recherche esthétique soignée et contemporaine, on a affaire à une quête identitaire qui résulte

4 Celle revue littéraire a paru entre 1932-1944 Son nom. un régionalisme, signifie « t a s de g e r b e » référence symbolique à la nécessité de collecter les valeurs de la communauté.

' Kosztolányi, dans son poème « Esti Kornél rímei » (Les rimes de Kornél Esti) évoque ainsi sa ville natale : « G y e r m e k k o r o m , mindig téged kereslek, ha j á r o m a poros-boros Szabadkát» ( M o n enfance c'est toujours toi que j e cherche, chaque fois que j e parcours cette poussiéreuse et vineuse de Szabadka »).

6 Cf. Bányai János - Bosnyák István (éd.). Kontrapunkt (Symposion 6 1 - 6 3 ) . NOM Sad. Forum. 1964 L'esthétique « l a c u s t r e » idéalise la région autour du lac de Pâlies, se contentant d'un régionalisme conservateur

' Bori Imre. A Jugoszláviái magyar irodalom története. N o v i Sad. Forum 1968 l a métaphore de la flûte de Pan. créée par Gyula Illyés, conçoit la littérature hongroise comme un seul instrument á vent à plusieurs tuyaux qui soutire d'un désaccord, d'où la mission des écrivains de le réaccorder

d'un sentiment de déterritorialisation. Si nous empruntons ce terme au livre de Gilles Deleuze et Félix Guattari sur Kafka, c'est bien parce que la revue se fait de la notion de « littérature mineure » une bannière poétique8.

Le premier numéro est dédié à la pornographie et s'intitule « Insertion ». Le deuxième s'intéresse à la création du grand romancier originaire de la Voïvodine, Danilo Kis. Le troisième a pour titre « Perte du sol », le suivant, évoquant la guerre,

« De bello civili », et on enchaîne avec une autre importante figure de l'exil, le poète István Domonkos. Chaque numéro est double, parfois triple 9, une conception maintenue jusqu'à nos jours, dix-huit ans après sa création. Les premiers numéros profilent trois centres d'intérêts : le non-conformisme, essentiellement d'ordre esthétique général ; icônes littéraires du territoire perdu ; l'impact de la guerre sur l'identité culturelle des membres de la rédaction. C'est à travers ces trois préoccupations que se profile l'identité de la minorité migrante.

Le non-conformisme, l'abattage des tabous est bien l'héritage de l'ancienne revue Uj Symposion; les numéros de l'Ex, tous thématiques, s'intéressent aux questions épineuses d'actualité de la société contemporaine, comme la pornographie, les drogues, les problèmes écologiques. En parallèle, ils font l'inventaire de l'héritage culturel yougoslave et de ses piliers spirituels, dans le but de conjurer le traumatisme de l'effondrement et de l'exil : Kis, Ivo Andric, Sziveri, Domonkos.

Ainsi, le numéro consacré à Domonkos, ce bohème à la Boris Vian qui a quitté la Yougoslavie dès les années 70, en s'exilant dans le nord de la Suède pour gagner sa vie comme bûcheron, apparaît comme l'expression d'une profession de foi de la rédaction. Auteur fétiche de l'émigration hongroise, l'exilé en Suède décrit dans son poème « En mal de gouvernail » (Kormányeltörésben) l'agonie progressive de la langue maternelle, son aphasie en milieu étranger. Dans un autre poème, intitulé

« Canada », il formule le sentiment d'aliénation dans le pays d'accueil, le même qu'éprouve le comité de rédaction. Enfin, la troisième orientation essaie de cerner le sentiment de la déterritorialisation ; présente dès le troisième numéro, cette expérience à jamais ineffaçable revient avec insistance dans plusieurs numéros thématiques.

On peut distinguer trois périodes dans l'activité de la revue par rapport à la problématique du migrant. Les débuts, annoncés dans la Talajvesztés (Perte du sol), portent sur une blessure ouverte, un traumatisme récent ; cette période dure jusqu'à la fin de la guerre en Kosovo. La convalescence se profile dès la fin des années 90, avec le numéro sur Sziveri et celui sur les Minor irodalom (Littérature mineure).

Arrive enfin la guérison, perceptible dans les Gyiittmentek (Rastaquères), en 2005.

Rappelons ici la théorie deleuzienne d'une littérature mineure : celle-ci n'est pas celle d'une langue mineure, plutôt celle qu'une minorité fait dans une langue

* Le 3e chapitre du livre de Gilles Deleuze - Félix Guattari. Kafka. Pour une littérature mineure s'intitule

« Q u ' e s t - c e qu'une littérature m i n e u r e ? » ; il est entièrement traduit dans le numéro 44-45, « M i n o r irodalom », 2003.

'' Pour des raisons financières on peut mieux justifier de la subvention, octroyée au départ par la fondation Soros.

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majeure. Ses traits principaux : la langue est affectée d'un fort coefficient de déterritorialisation ; chaque affaire individuelle est immédiatement branchée sur la politique ; la littérature a la fonction d'énonciation collective. Si la première période correspond à la déterritorial isation, les deux autres s'inscrivent dans la reterritorialisation deleuzienne où les remèdes proposés, bien qu'individuels, reflètent fidèlement l'expérience collective.

(typologie)

Parmi les différents types de migrants de notre revue nous pouvons distinguer trois cas de figures. Le premier est « l'apatride » qui fait la navette entre la Hongrie et sa terre natale, sans pouvoir s'établir d'une façon définitive dans l'une ou l'autre. On aura du mal à recenser toutes les étapes de la trajectoire du sociologue György Horváth, sillonnée d'innombrables lieux de travails de Senta à Budapest.

Contentons-nous de signaler que ce membre de la rédaction, après la fin de la Yougoslavie, décide de prendre pour nom de plume le pseudonyme

« Szerbhorváth » (signifiant « serbo-croate ») en tant que geste de protestation contre la séparation de la langue officielle, considérée comme artificielle, mais aussi en guise de marque identitaire de provenance. Il vit aujourd'hui à cheval sur les deux pays, la Hongrie et la Serbie.

Le deuxième cas : les « intégrés ». Ici. nous avons trois personnes établis à Veszprém dont un critique littéraire et deux poètes ; de ces derniers, l'un est le graphiste, l'autre le rédacteur en chef de la revue. Le critique et universitaire István Ladányi circonscrit le terme de « rasta » ; le graphiste, Ottó Fenyvesi, élabore la poétique du « nomade » ; le rédacteur en chef. Péter Bozsik, éclaire son expérience de « youghong ». Si Ladányi et Bozsik formulent essentiellement les complaintes de l'être déterritorialisé. Fenyvesi y propose les remèdes. Notons que malgré quelques heurts d'insertion, ces trois auteurs n'ont pas déménagé de leur ville d'accueil depuis leur arrivée en Hongrie.

Il y a enfin un troisième cas, celui du « migrant interne », le poète Ottó Tolnai. Ce dernier n'a pas quitté sa Voïvodine mais son changement de domicile à l'intérieur du pays a une valeur symbolique. Tolnai, qui a eu aussi bien les honneurs yougoslaves que hongroises, la dernière présidence de l'Union des Ecrivains Yougoslaves comme le prix Kossuth, incarne l'esprit de la génération Új Symposion et, surtout, la souplesse de celui-ci, capable de s'adapter aux tendances artistiques les plus nouvelles. Son prestige lui vaut le titre de président d'honneur de la revue fondée à Veszprém et son apport littéraire, présent dès le départ dans les pages de I Ex Symposion, ne fait que consolider cette position.

(expériences)

Si le vécu est commun, l'approche de chacun s'avère différente. L'apatride, sensible à l'absurde, soupèse le mot « patrie ». Ainsi, György Szerbhorváth 10

paraphrase un célèbre exilé, Sándor Márai, lui-même témoin de quelques déplacements des frontières. Il adapte la formule maraïenne « ma patrie est dans ma

langue » au contexte contemporain : la patrie du sociologue voïvodinois se trouve là« où il y a son ordinateur portable». Cette allusion fait également référence au poème de Domokos que nous avons cité en épigraphe. De plus, en hongrois, le nom

« patrie » peut se transformer en préverbe ; Horváth dénonce la relativité du mot en se servant de deux verbes « hazaköltözni » (rentrer chez soi) et « hazavándorolni » (ré-migrer), désonnais dépourvus de sens logique, devenus carcasses purement grammaticales. En tant que centre-européen, il se voit un éternel « migrant des changements de frontières et de documents » et tlnit par conclure que son identité nationale restera à jamais flottante du moment que dans son acte de naissance yougoslave son prénom slavisé (Djerdj, au lieu de György) mettra toujours à mal les autorités hongroises qui, pour éviter les complications administratives, refuseront sa hungarisation : « Officiellement, j e vais vivre toujours sans accents et aucune autorité hongroise n'y peut rien puisque, n'est-ce pas, mon identité ne serait pas la même mais double ».

Les intégrés expriment l'expérience de la déterritorialisation sur plusieurs modes : ironique, sérieux et ludique. Ladányi" se remémore l'accueil en terre d'exil avec ironie. Arrivés comme des « bêtes traquées », les blessures identitaires des réfugiés de Voïvodine rendaient difficile la communication avec les autochtones.

Une des raisons principales résidait dans la difficulté de leur identification, étant à la fois étrangers et Hongrois : « Il n'est même pas facile de les nommer, on ne sait jamais à quoi ils sont sensibles. Des yougos ? Voïvodinois ? Sudistes ? Bosse sur le dos ». Le critique dépeint avec humour l'embarras des autochtones : « Chacun a endossé son meilleur moi, chacun apparaissait dans son être qu'il croyait bienveillant. L'un se caressait la barbe et grogna d'un air avisé. L'autre voulait dire vite quelque chose de bon et d'utile. Le troisième nous fit signe dans la rue, comme si nous étions de vieilles connaissances. Le quatrième nous offrit de la confiture et raconta sa vie, qu'ici tout le monde connaissait d é j à » . On s'efforce de paraître accueillant, l'est-on v r a i m e n t ? Si la relation « demandeur-donneur» lui permet de repenser sa conscience culturelle en diachronie, depuis la rupture presque séculaire avec la mère-patrie, le terme même de « voïvodinois », historique pourtant, est sérieusement remis en question : « c'est ici que nous somme devenus des Voïvodinois, là-bas on nous définissait par rapport à un habitat mais même cela, rarement ( . . . ) et tout ce que nous étions, à Veszprém, du jour au lendemain avait disparu et nous sommes devenus ce que jamais auparavant : des réfugiés voïvodinois, entachés en quelque sorte de l'effusion de sang balkanique ». Le réfugié a donc une

identité « ébranlée », il n'est plus le même pour soi-même comme avant. L'angoisse

Szerbhorváth György. « Elvándortalanodás ». in Ex Symposion (abrégé désormais ExSymp), no 40-41

«Vándor », 2002

11 Ladány i István. « Ki szeret engem ? » in ExSymp, no. 53, „Gyüttmentek", 2005

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des locaux est aussi justifiée avec un brin d'ironie : peur de perdre leur travail et aversion vis-à-vis des intrus « bruyants, sales, ne savent pas se comporter comme il faut ». Même si le parler du rasta s'adapte petit à petit à celui locaux, il continue à rester en dehors de leur monde et « ne comprend pas ce que ceux-ci cherchent ».

Si Ladányi faisait état de la méfiance des autochtones, Péter Bozsik i :

s'érige en porte-parole des intellectuels voïvodinois. Là. il s'agit bien de la valeur collective que souligne le texte deleuzien. Bozsik reproche sur un ton pathétique aux autorités littéraires de Hongrie un traitement avec condescendance : « Nous, ce pluriel tant détesté et fâcheux, nous, les Voïvodinois qui, du côté de la littérature soi-disant youghong (hongroise de Yougoslavie), aujourd'hui 'hongroise de Voïvodine", nous nous pressons dans l'antichambre de la littérature hongroise mentionnée par Sziveri ». C'est une blessure de longue date, dénoncée déjà par son prédécesseur fuyard, expérimentée maintenant sur sa propre peau. Bozsik parle d'une véritable

« ligue des autochtones », créée pour exercer un contrôle social sur les immigrés :

« le vocabulaire de mes connaissance de Hongrie fourmillait de tournures presque idiomatiques 'ici, il est d'usage' ou 'ici, il faut le faire comme ça' ». L'état d'aliénation a produit, dit-il, une autre manière à penser, une sorte de « sous-espèce de l'immigré » qui a eu pour conséquence une rupture avec ceux qui sont restés au pays : « Je suis devenu un autre, ces dernières 14 a n s ( . . . ) je constate qu'il y a un fossé séparant ceux qui sont restés de ceux qui sont partis. Ce fossé n'est que la mesure de la souffrance ». Mais cette souffrance vient aussi bien d'une intégration imparfaite que des remords du départ : « ici tu n'es que métèque, dans le meilleur des cas un Voïvodinois, un d'outre-frontières ; vu de chez toi. tu es un traître à la nation qui a abandonné sa communauté ».

La déterritorialisation ludique d'Ottó Fenyvesi1', le graphiste de la revue, est triple. Tout d'abord, géographique : « nous nous sommes dispersés, à Budapest et à Veszprém, certains sont restés en Voïvodine ». Ensuite, ce vécu est aussi historique : le pays rappelant « le bonheur du ghetto » a cessé son existence et,

« avec le démembrement de la Yougoslavie, une époque 'post-nouvelle', 'ex' a commencé ». Ainsi, Fenyvesi donne l'explication du nom de la revue qui reflète à la fois le passé artistique et l'échappée d'un espace. Il y a chez lui un aspect existentiel de la déterritorialisation. Se décrivant comme « le premier central électrique volcanique de Bacska », il dénonce de cette manière sa marginalisation: « La marge

« avec le démembrement de la Yougoslavie, une époque 'post-nouvelle', 'ex' a commencé ». Ainsi, Fenyvesi donne l'explication du nom de la revue qui reflète à la fois le passé artistique et l'échappée d'un espace. Il y a chez lui un aspect existentiel de la déterritorialisation. Se décrivant comme « le premier central électrique volcanique de Bacska », il dénonce de cette manière sa marginalisation: « La marge