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La féminité double-née – l’initiatrice céleste et la séductrice démoniaque

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Comme nous l’avons préalablement esquissé nous trouvons deux fi gures fé-minines principales dans le roman. Ces deux aspects – la femme morte idéa-lisée et la comédienne « en chair et en os » – représentent un duo éternel d’une ambiguïté déjà marquée dans la littérature médiévale. La femme, tout en ayant un côté angélique, pure et chaste, dispose également de forces vicieuses et démoniaques à l’aide desquelles elle traîne l’homme inévitablement vers la décadence en incarnant le désir sexuel. Jane représente donc la luxure, l’aspect ouvertement physique de l’amour et la Morte le côté sublime. Ainsi les deux personnages créent une image complète de la femme.

Maintenant, ouvrons une parenthèse pour développer brièvement la ques-tion de l’amour physique. Il faut se rendre compte que la sexualité fait partie inaliénable des pratiques de l’amour, déjà dans l’univers courtois. Pourtant, il ne reste qu’un moyen et ne devient jamais le but. La figure de la femme unit en même temps le désir charnel et les aspirations célestes de l’homme, son am-biguïté est indéniable. Dans la figure de la comédienne, on retrouve la « trop grande luxure » écartée et jugée par le Code d’amour, Les Préceptes d’Amour d’André le Chapelain. Au moment où cette trop grande luxure et la vanité s’introduisent dans le couple, il cesse d’être idéal.

Porteuse du mal, bouche de l’enfer ? Dans un premier temps, nous essayons de nuancer le personnage de l’actrice. On se souvient d’Ishtar, déesse de l’amour physique et la guerre, lien fort entre la vie amoureuse et la mort, de Salomé et de Dalila. Nous viennent à l’esprit Eve, Sophie chez les gnostiques, la femme de Putiphar, Hélène, Judith, la liste est longue et s’étend à travers les siècles et les cultures. Dans le roman, la femme fatale est représentée par une ac-trice. La proie de cette porteuse de mort8 devient le littéraire mélancolique.

Le personnage de la danseuse est associé aux leurre, luxure et joies terrestres parallèlement aux fées.

Au Moyen Âge, l’image de la séductrice dangereuse persiste sous plusieurs formes. Tout d’abord mentionnons l’archétype biblique des dangers de la sexualité féminine de l’époque représentée par Eve, puis revenant dans les récits comme la fée maléfique et séduisante (par exemple la fée Morgane).

Dans certains contextes et par là nous entendons de nouveau l’espace cultu-rel judéo-chrétien et surtout catholique, dans lequel la femme est représentée comme un être imprégné par le péché, tentant l’homme à la perdition. Sous sa chasteté apparente se cachent la chair vivante et ses crimes qui ne manque-raient pas de se manifester. Chez Rodenbach cette fausse image de la réin-carnation de la défunte se dévoile progressivement, la chair se débarrasse au fur et à mesure du mysticisme. La comédienne est elle-même un théâtre, une imitation mensongère et trompeuse de la perfection insaisissable.

Son personnage devient un signe dans le roman9. Son artifice et sa vanité jettent une ombre sur la ressemblance magique, ses cheveux sont teints, ses gestes manquent de grâce. L’image se brise progressivement : le caractère réel de Jane se révèle, le lien entre désir et fausseté est mis en avant. Fausseté et désir sont donc indissociables, l’amour véritable ne peut pas se fonder sur des qualités superficielles. Pareillement aux récits courtois où les enchanteresses ne sont souvent que des êtres imaginaires venant d’au-delà qui de près font preuve d’un caractère épouvantable (comme les sirènes), nous trouvons le même cas de figure dans Bruges-la-Morte.

L’homme capturé dans le piège perd son objectif et son identité, il se dissout dans le désir. La puissance destructrice de la femme n'est donc pas négligea-ble, elle représente tout un mythe du mal.

8 Jouanny, Silvie, L’actrice et ses doubles : figures et représentations de la femme de spectacle, Genève Droz, 2002.

9 Ibid.

La femme en chair enchante le pauvre écrivain pareillement aux fées. Jane, comme les fées, vient d’un monde parallèle et cela correspond très bien aux schémas narratifs rencontrés dans les récits courtois. Cet univers parallèle est le monde du théâtre, lieu diabolique car il imite la réalité – un espace méta-phorique de la fausseté qui ne peut se débarrasser de l’image de faire semblant et de fabrication. La femme représentée comme comédienne est indissoluble-ment liée à cet univers d’artifice et de mensonge. Le charme vide, le corps et le présent sont fortement opposés à un passé idéal10.

L’autre fi gure féminine, l’épouse défunte, est tellement sublimée qu’elle n’est jamais présente « physiquement » dans le récit, elle n’est qu’un souvenir.

Cependant ses reliques sont omniprésentes. Son caractère symbolique voire surnaturel est souligné par son anonymat qui persiste tout au long du roman.

Cet anonymat énigmatique et solennel peut nous rappeler l’indicibilité du nom de l’être supérieur. Vu ces éléments nous pouvons donc constater que le veuf maintient un véritable culte de la femme morte. Les expressions ren-voyant à la morte, tout ce champ lexical hagiographique et même la graphie de ces mots souligne l’attitude sacralisante envers la femme qui ainsi devient un être vidé de toute sexualité (p. ex. Epouse, Sainte, Morte, Relique.)11.

Le comportement d’Hugues peut évoquer le caractère des rituels de l’amour courtois où l’amant, comme une sorte de prêtre, accomplit des actes symbo-liques pour s’approcher de sa dame. Les ressemblances entre ce rituel che-valeresque, le culte irrationnel de la femme morte et la liturgie célébrée en l’honneur de la Theotokos12 sont manifestes. Si Jane incarne le mal féminin, l’Eve éternelle, c’est la morte qui prendra le rôle de la vierge, de la dame à ja-mais inaccessible et pure.

Avant de finir, considérons encore les deux modèles féeriques, spécialement en établissant un parallèle entre les femmes et les fées qu’on appelait Mélusine et Morgane. La première, figure d’une grande complexité, fondatrice de la lignée des Lusignan est la fée qui intègre l’individu dans la communauté.

En plus, à cause de sa queue de serpent elle est souvent perçue comme an-drogyne. La deuxième, Morgane, fée généralement séductrice et maléfique, souvent associée à la pratique de l’inceste, s’oppose à la cour arthurienne et cherche le moyen dont elle pourrait faire échouer le chevalier (Lancelot).

10 Ibid., p. 242.

11 Goffin, p. 115.

12 Titre attribué à la Vierge par Alexandre d’Alexandrie au IVe siècle.

Pour conclure nous souhaitons attirer l’attention sur un autre aspect de cette dualité féminine et sur le fait qu’en plus d’être une récapitulation d’une lon-gue tradition elle peut également être perçue comme un lien établi entre les deux écoles présentes (fl amande et wallone) dans la Belgique du XIXe siècle.

L’écrivain issu de l’une par sa langue et formé par l’autre par son éducation s’exprime aisément dans un contexte de dualité dont la structure rime bien avec l’actualité de l’époque dans un état jeune, et à la recherche d’une synthèse entre les deux cultures qui coexistent en son sein. En même temps, la dualité développée ci-dessus est également une sorte de témoignage de la situation particulière de la Flandre principalement catholique, située entre les Pays-Bas protestants et libéraux et la France, depuis longtemps en voie de sécularisa-tion. Suivant cette logique nous pouvons lire Bruges-La-Morte, un roman de langue française parlant d’une ville située en région fl amande, comme le mo-nument d’une double identité dont les deux composants contribuent pourtant à la création d’un ensemble.

Bibliographie

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Gingras, Francis, Erotisme et merveilles dans le récit français des XIIe et XIIIe siècles, Paris, Honoré Champion, 2002.

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Jouanny, Silvie, L’actrice et ses doubles : fi gures et représentations de la femme de spectacle¸ Genève, Droz, 2002.

Markale, Jean, Mélusine ou l’androgyne, Paris, Editions Retz, 1983.

Markale, Jean, L’amour courtois ou le couple infernal, Paris, Imago, 1987.

Rodenbach, Georges, Bruges-La-Morte, Editions du Boucher, 2005.

Une vision du monde entre l’Occident et

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