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Complaintes : Maurice Carême et Félix De Boeck

In document DOKTORI (PHD) ÉRTEKEZÉS (Pldal 176-181)

II. La représentation du corps

3. Poèmes et dessins

3.2 Complaintes : Maurice Carême et Félix De Boeck

Félix De Boeck (1898–1995), peintre de renommée internationale, a vécu toute sa vie à Drogenbos (périphérie Bruxelles), une commune où se trouve aujourd’hui le FeliXart Museum situé à côté de la ferme familiale. Pour garder son indépendance financière, il décida de suivre les pas de son père dans la ferme familiale tout en se consacrant à la peinture. Il avait une vie très réglée dans l’organisation de son temps ; six jours de travail dans les champs pendant lesquels il rassemblait des impressions pour ses tableaux, le dimanche dans son atelier où il peignait du matin au soir. Il décrit ainsi son rythme de travail, propos recueillis par Jan De Kelver dans son catalogue Félix De Boeck – Museum publié un an après la mort du peintre.

Le dimanche, je n’ai pas besoin de chercher l’inspiration. La création picturale, je l’ai déjà en moi. Peindre, pour moi, est une manière de prier. Pendant la semaine, j’aspire au dimanche. En d’autres termes, mon but est de peindre. Et le dimanche soir, je suis heureux, car je sais que le lendemain, je pourrai à nouveau me dépenser physiquement.

Grâce à ce passage permanent de l’activité spirituelle à l’activité physique et inversement, ma vie a été parfaitement équilibrée833.

Dans son art, il y eut plusieurs périodes ; passant par du postimpressionnisme au fauvisme, puis à l’expressionnisme, Félix De Boeck équilibra l’art abstrait et le figuratif834. Il fut autodidacte et authentique, créant une œuvre incomparable imprégnée d’une profonde spiritualité. Ses contemporains, le peintre et poète Pierre-Louis Flouquet (1900–1967) introduit, pour décrire son originalité, une nouvelle expression : « Expressionisme spirituel835 » ; l’écrivain Charles Plisnier (1896–1952) le nomme « Imagier de l’éternel836 ».

Félix De Boeck et Maurice Carême firent connaissance en 1921 à propos de la revue littéraire La Revue indépendante dont Maurice Carême fut rédacteur en chef837. Ils se rencontrèrent plus tard, en 1926, au vernissage de l’exposition du sculpteur Gustave Van Gompel qui avait taillé et exposé leurs bustes. Après l’exposition, – venus reprendre les sculptures et rentrant ensemble, chacun avec sa propre tête sous le bras –, ils entamèrent une conversation plus profonde qu’ils continuèrent d’entretenir pendant plusieurs années838. Maurice Carême décrit ainsi cette rencontre : « Un regard franc et direct, une poignée de main vigoureuse, une conversation où nos cœurs trouvaient si naturellement les mots pour

833 DE KELVER, Jan, Félix De Boeck – Museum, Catalogue, Rhode-Saint-Genèse, Demol, 1996, p. 8.

834 Cf. WOUTERS,Peter, « Félix De Boeck (1898–1995). Fermier et pionnier avant-gardiste », FeliXart Museum, Gent, Catalogue, 2013.

835 Ibid., p. 24.

836 MATTHIJS, Georges-Marie, Félix De Boeck, Bruxelles, Éditions Libro-Sciences, 1978, p. 28.

837 Cf. FERENCZI László, « Maurice Carême », Dossiers, Littérature française de Belgique, Op. cit., p. 3.

838 Cf. BURNY,Jeannine,Le jour s’en va toujours trop tôt – Sur les pas de Maurice Carême, Op. cit., p. 212.

172 s’exprimer que l’on eut pu croire que c’est eux qui se parlaient, et je découvrais non seulement un artiste, mais un homme, et quel homme839 ! » Son admiration devant l’artiste, il l’exprima également dans un poème intitulé Un homme simple, dédié au peintre Félix De Boeck, poème publié plus tard dans le recueil L’envers du miroir en 1973.

Il puisait de l’eau, Il cassait du bois.

L’ombre des oiseaux Étoilait son toit.

Il semait du blé, Il fauchait du foin.

Le coteau entier Riait dans son pain.

Il était si simple Que ses yeux, en mai, Pour tous fleurissaient Comme des jacinthes.

Et, quand il priait, Tout seul sous son toit, Jésus, dans son ombre, Regardait le monde À travers ses doigts840.

Le peintre accueillit ainsi le geste du poète : « Il va de soi que je suis flatté par le poème inédit que vous avez l’intention de me dédier. Je m’y retrouve comme dans certains de mes autoportraits et j’en suis ravi et heureux841. »

Félix De Boeck contribua à la réalisation de deux recueils du poète : Complaintes, paru en 1975, avec 32 dessins du peintre et Brabant, troisième édition en 1976 qui contient, en plus des 14 dessins de Félix De Boeck, ceux de Henri-Victor Wolvens et de Hubert Malfait842. Le peintre et le poète réaliseront aussi des séries d’eaux-fortes en commun où des dessins et des poèmes sont associés. Félix De Boeck créa également deux portraits du poète en 1972 et en 1979, un an après le décès de Carême. Après la mort du poète, De Boeck rendit ainsi hommage devant son ami : « Je suis Flamand, Maurice Carême est Wallon. Je le connais depuis notre première rencontre au lendemain de la première guerre mondiale. Depuis lors je l’aime et je l’admire. Carême est un mystique de la poésie843. »

839 CARÊME, Maurice, Article sur Félix De Boeck ; manuscrit non daté, conservé auprès de la Fondation Maurice Carême.

840 CARÊME, Maurice, « Un homme simple », In L’envers du miroir, p. 8.

841 DE BOECK, Félix, Lettre non datée écrite à Maurice Carême, mais sans doute avant la parution du recueil L’envers du miroir en 1973. Manuscrit conservé auprès de la Fondation Maurice Carême.

842 CARÊME, Maurice, Brabant, 3e édition, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1976, illustré de 14 dessins de Félix De Boeck, 6 dessins de Hubert Malfait et 7 dessins de Henri-Victor Wolvens.

843 DE BOECK, Félix, Texte écrit à la mort de Maurice Carême pour le livre d’or de la Fondation Maurice Carême.

Manuscrit conservé auprès de la Fondation Maurice Carême.

173 La rédaction du recueil Complaintes fut réalisée au terme de l’entretien : Félix De Boeck ouvrit ses cartons avec des centaines de dessins existants qui correspondaient non à l’illustration des poèmes mais à l’esprit des vers du livre, en particulier de sujets existentiels844. Voici quelques-uns de ces sujets : le paysan en travail, la maternité, l’enfant mort, la souffrance, la mort, le Christ crucifié.

Le travail du fermier fait partie du quotidien du peintre. Il crée en 1944 un Triptyque du travail (Semailles, Moisson, Bêchage845), en sacralisant la culture de la terre. Carême, lui aussi chante les labours dans ses poèmes. Dans le recueil Complaintes, le poème Les paysans846 est accompagné d’un dessin de bêchage de Félix De Boeck (Fig. n°9). Les mains et les pieds sont fortement mis en valeur : vu du bas vers le haut, les parties du corps agrandies à l’avant-plan sont ainsi mises en évidence et mieux précisées. Le rapport de l’ensemble aux éléments partiels ainsi que les relations entre les parties du corps rendent plus perceptible le geste mis ainsi en relief. Nous trouvons la même technique sur le dessin qui accompagne le poème Complainte du chemineau (Fig. n°10). Le corps, ses appuis et ses contacts montrent l’approche physique que De Boeck y a intériorisée, voire, en quelque sorte, spiritualisée. Par des fonds circulaires, le peintre donne au corps une « perspective sphérique847 » dans laquelle les mains et les pieds agrandis font partie d’un tout.

Chez Carême, l’évocation du corps, de la posture du corps, des parties du corps, rend également compte d’une signification. Par exemple, dans le poème Complainte du chemineau, la posture, les mouvements connus, instinctifs sont décrits consécutivement.

Il déposa son sac de roulier.

Il enleva ses pesants souliers.

Et, sous le ciel qui luisait très haut, Il se coucha, recru, sur le dos.

Puis, ainsi qu’il le faisait enfant, Sans le savoir, il joignit les doigts848,

Dans le poème Complainte du pauvre du même recueil, la position du corps introduit à une forme d’existence intérieure : « Succomber dans mon coin. [...] Mais je suis toujours là / Debout dans la lumière849 ». Dans le poème Tant de pas d’hommes !, les pieds sont convoqués par la ritournelle des pas, exprimant la fragilité humaine :

Tant de pas d’hommes sur la terre Qui vont et viennent dans le vent

844 Cf. BURNY,Jeannine,Le jour s’en va toujours trop tôt – Sur les pas de Maurice Carême, Op. cit., p. 215.

845 MATTHIJS, Georges-Marie, Félix De Boeck, Op. cit., pages non numérotées.

846 CARÊME, Maurice « Les paysans », In Complaintes, p. 98.

847 WOUTERS,Peter, « Félix De Boeck (1898–1995). Fermier et pionnier avant-gardiste », Art. cit., p. 24.

848 CARÊME, Maurice « Complainte du chemineau », In Complaintes, p. 40.

849 CARÊME, Maurice « Complainte du pauvre », Ibid., p. 9.

174 Et, sous chaque pas, la poussière

De ceux qui sont passés avant850 !

Évoquant les pas ou les pieds, nous trouvons selon leurs expressions poétiques : le

« pas résigné851 », les « pieds las de s’en aller852 », les « jambes de bois853 », référence aux horreurs de la guerre.

La valeur expressive des mains a son importance tout autant dans les poèmes que dans les dessins. Des actions et des attitudes de la vie intérieure s’expriment ainsi par le jeu des mains. Chez Carême, des mains tristes, basses, vides apparaissent, piquées de « flots d’orties854 ». Elles portent les empreintes du travail : « ces mains durcies855 » ; ou celle du temps : « sur le dos des mains, / Le même temps qui passe856 ». Des mains tendues, « la paume ouverte de Dieu857 » surgissent également ; comme les « doigts tachés d’encre858 » ; mais aussi l’évocation que le poète fait de son propre geste :

Je suis ici devant la mer,

La plume en main tout comme si La perfection de l’univers

Tenait dans les vers que j’écris859.

Félix De Boeck était très attiré par les mains. Jan De Kelver, dans son catalogue sur l’œuvre du peintre, cite les réflexions de l’artiste :

Le jeu des mains se retrouve en permanence dans mon œuvre. Des mains qui se tordent et s’agitent, qui cherchent. Des mains qui recouvert le corps en signe de désespoir et de désolation. Des mains qui s’ouvrent dans un geste de prière. Des mains qui se tendent vers vous. Des mains qui s’offrent. Le thème du « Don de soi » touche chacun de nous860. Dans son œuvre, De Boeck peint bien des expressions du jeu des mains. Dans le recueil Complaintes, le dernier dessin du peintre est celui de mains jointes (Fig. n°11) qui, en forme de cercle, sont comme un signe de recueillement et de saisissement. Le poème Il y a…, qui y est juxtaposé fait, – par le parallélisme des vers et la reprise, dans les deux derniers vers, des mots finaux des vers précédents –, figure d’un chapelet s’entrelaçant dans les doigts pour ne former qu’un seul ensemble circulaire.

Dans la nuit, il y a la lune ; Le jour, il y a le soleil.

Dans ma tête, il y a la lune

850 CARÊME, Maurice, « Tant de pas d’hommes ! », Ibid., p. 77.

851 CARÊME, Maurice, « Le long de la mer », Ibid., p. 32.

852 CARÊME, Maurice, « Complainte de Notre-Dame », Ibid., p. 27–28.

853 CARÊME, Maurice, « Jambes de bois », p. 18 ; « Complainte de l’invalide », Ibid., p. 43.

854 CARÊME, Maurice, « On dit que les morts… », Ibid., p. 113.

855 CARÊME, Maurice, « Complainte du pêcheur », Ibid., p. 146.

856 CARÊME, Maurice, « Nul ne répond jamais », Ibid., p. 49.

857 CARÊME, Maurice, « Complainte du moine mourant », Ibid., p. 78.

858 CARÊME, Maurice, « La mort d’un poète », Ibid., p. 38.

859 CARÊME, Maurice, « In secula seculorum », Ibid., p. 172.

860 DE KELVER, Jan, Félix De Boeck – Museum, Op. cit., p. 30.

175 Et le soleil.

Dans la rue, il y a des arbres ; Dans la campagne, des châteaux.

Dans ma tête, il y a des arbres Et des châteaux.

Sur la mer, il y a des voiles ; Derrière les nues, des étoiles.

Dans ma tête, il y a des voiles Et des étoiles.

Sur la terre, il y a le ciel ; Dans le ciel, il y a les dieux.

Et j’ai, dans la tête, le ciel Et tous les dieux861.

Les mouvements circulaires sont multiples sur les dessins. Ils y apparaissent comme

« élément de langage862 ». Tels sont les dessins suivants : celui évoquant la maternité (Fig.

n°12) qui est juxtaposé au poème Complainte de l’enfant Jésus863 ; celui des funérailles d’un enfant mort évoqué par « le cri des diagonales et le silence apaisé des cercles864 » (Fig. n°13) joint au poème L’enterrement865 ; ou ceux du Christ en croix, en perspective (Fig. n°14).

L’aveu de Félix De Boeck : « Le jeu des cercles confère à mon œuvre une allure spatiale et cosmique866 ». Le dessin juxtaposé au poème Écoutez… représente la même figure du corps du Christ en croix (Fig. n°15). La perspective choisie qui oriente à la fois vers l’unité d’un cercle selon la courbure de la main et vers l’éclatement par la main agrandie comme presque tendue, au premier plan, donne à l’ensemble l’impression que le dessin tourne, comme appelé par un mouvement ascendant. Le poème qui y est joint fait référence tout à la fois à la naissance du Christ à Bethléem, au berceau ou au mouvement circulaire de l’univers.

Oh non ! il a suffi d’un bœuf Pour faire naître un monde neuf, De la naïveté d’un âne

Pour donner aux choses une âme, D’un fragile berceau de paille Pour faire tourner à l’envers Toutes les roues de l’univers867.

861 CARÊME, Maurice, « Il y a… », In Complaintes, p. 175.

862 MATTHIJS, Georges-Marie, Félix De Boeck, Op. cit., p. 13.

863 CARÊME, Maurice, « Complaintes de l’enfant Jésus », In Complaintes, p. 136.

864 MATTHIJS, Georges-Marie, Félix De Boeck, Op. cit., p. 19.

865 CARÊME, Maurice, « L’enterrement », In Complaintes, p. 127. Quatre des cinq enfants de Félix De Boeck ont perdu la vie avant l’âge d’un an. Le drame de la mort le préoccupe ; la souffrance de ces deuils trouve écho dans ses œuvres. Henri Van Daele écrit dans sa monographie parue en 1985 : « Il met autant de crudité à dépeindre la mort, qu’il met de tendresse à façonner à l’aide de cercles une mère et un enfant. » Cité par DE PUYDT,RAOUL MARIA, Félix De Boeck, Oostkamp, Stichting Kunstboek, 2004, p. 54.

866 DE KELVER, Jan, Félix De Boeck – Museum, Op. cit., p. 24.

867 CARÊME, Maurice, « Écoutez… », In Complaintes, p. 23.

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