1
LA DERNIÈRE ALLIANCE FRANCO-HONQROISE
LOUIS XIV
et
RAKOCZY II
A PROPOS DE LA TRANSLATION DES CENDRES DE CE DERNIER
PAR
Raoul CHELARD
Ppi:it : 1
pranc
PARIS
Lil>ralrie H. LE SOUDIEl*
174 &176, Boulevard Saint-Germain
1906
-^Wi
LA DERNIERE ALLIANCE FRANCO^HONGROISE
LOUIS XIV
et
RAKOCZY II
A PROPOS DE LA TRANSLATION DES CENDRES DE CE DERNIER
PAR
Raoul CHÉLARD
^
PARIS
Litorairie H. LE SOUOIER
174 &176, Boulevard Saint-Germain
1906
Liste des ouvrages de Raoul Clé
LesArméesfrançaisesjugées par lesha-
bitantsdel'Autriche.
-
Pion, 1893. Paris. 1 vol.LaHongrie contemporaine.
—
Le Soudier,Paris, 1891 1 vol.
L'Autriche contemporaine.
—
Illustré.—
Chailley, Paris, 1894 1 vol.
La
Hongriemillénaire—
Illustré.—
Chail-ley, Paris, 1890 1 vol.
La Civilisationdansledéveloppementde l'Allemagne(moyen-âge).
—
Société du« Mercure deFrance», Paris, 1900 1 vol.
Guide historiqueet littérairede la
Hon-
grie.
—
Société du « Mercure deFrance»,Paris,1900 1 vol.
La
Crise hongroise et l'opinion.—
Edi- tion de La France à l'Etranger, Paris, juil-let1905 1 plaquette
Le prétendu Séparatisme des Hongrois
et laFrance.
—
Edition de La France àl'Etranger,Paris, août 1903 1plaquette
En
pfépapatibri;La
Civilisation françaisedansledévelop- pement de l'Allemagne (temps moder-nes).
—
Pour paraître fin 1907 1 vol.L'Autriche, la Hongrie et la faillite de
lathéorie des races.
—
Pour paraîtrefin1907 1 vol.
Vingt ans d'études sur la Hongrie.
—
Pourpaiî»*l#E^flrt^5^V«'î*s«. 1 vol.
JAN121965
1^2>h
9 5 21 1
7
'J^^
^JKTC O
STé' ^.^tXC CZ
l/.J^v oe Crnm<fJtojnMz<fJiX\x^a?n£^.
Gravure française de l'époque faiteà Versailles
APERÇU GÉNÉRAL
sur
leprince François Rakoczy'
Il et la politique française de l'épociueDe
grandes solennités nationales ont lieu en Hongrie vers la findu mois
d'octobre courant ; toute la patrie hongroise est en effervescence:on
transporte de Constanti- nople àBudapest,et, de làdansla cathédrale de Kassa, les restesdu
grand héros de l'in-dépendance
magyare, le prince FrançoisRakoczy
II,duc
de Transylvanie qui fut le fidèle etdévoué
allié de LouisXIV
contre l'Autriche dans la guerre desuccession d'Es-pagne
;ilproclama
l'indépendancehongroise en1703,futproclamé
roi,mais,vaincu,dutse réfugier à l'étranger; après lapaix d'Utrecht en 1713,il se retira à Paris, ily vécut avecsa cour sous la protection et des libéralitésdu
roi de
France
jusqu'à son départpour
Cons-' Les Hongrois écrivent Rakoczi; nous avons préféré conserverlavieillemanière françaiseen orthographiant:
Rakoczy. Cependant, les orthographes de : Ragotsky, Ragotsy, sont fausses; on prononce correctement : rà- ko-tsy.
—
4-
tantinople, où, y ayant été appelé par le Sultan
pour
reprendre lesarmes
contre l'Autriche, ilmourut
en1735pensionnairedu
Trésor français.Lesfêtesde Budapestetde Kassasont
donc
autantde fêtesfrançaises,à plusforteraisonque
le princeFrançoisRakoczy
II,futun
fer- vent admirateuretun ami
dela France à telpointqu'en
mourant
ilvoulutque
soncœur
reposât en terre française; par testament il
le légua au couvent des
Camaldules
de Gros- bois près Parisoù
ce viscèreestenterré près de lamaison dépendant
de ce monastèrequ'il habita
pendant
près de cinq ans.Tout
lemonde
connaîtlafameuse marche
de Rakoczy, instrumentéepour
la premièretoispar Hector Berlioz lorsd'un voyage
que
le compositeur français fit en Hongrie en 1855, et
où
il réunit, enune
improvisationdemeurée
classique, les bouts de chants et les mélodieséparsesprovenantdessoldatsdeRakoczy que
les patriotes hongroisse trans- mettaient de génération en génération ;cettemarche
est làpour
vous dire ce qu'estRa-
koczypour
les Hongrois.Quiconque
l'a en- tendu exécuter a été saiside sa fougue guer- rière; c'est l'assaut irrésistible de la cava- lerie qui se jette dans lamêlée pour
vain-—
5—
cre
ou pour
mourir; c'est le patriotisme ardent etimpétueux mis
enmusique
; or, c'est cela qu'incarne la personnalité deRa-
koczypour
lesMagyars
; il est lesymbole
de leurliainecontrel'Autriche usurpatrice, voire contre l'Allemagne, il est lesymbole
de laHongrie ayant ses coudéesfranches et
mar-
chant à la tête de toutes les nations balka- niques contrel'ogre tentaculaire austro-ger-manique,
il est lesymbole
de l'alhance des Hongrois avec la France etavec lespuissan- ces occidentales.C'est vous dire quels efforts et quels pro- diges de patience il a fallu
pour
obtenir àVienne
l'autorisationdu
transfertdu
corpsde FrançoisRakoczy
enterre hongroise.Ses cendresreposaient dans les caveaux d'une chapelle latérale de l'église
du
collè- ge de Saint-Benoit de Galata à Constanti- nople,maison
filialedela congrégation dite des «Lazaristes» de Paris. C'estdonc
encorela
France
qui a veillé depuis tantôtdeux
siècles à la conservation
du
corpsdu
héros de l'indépendance magyare.La
translation de ses cendres de Constan- tinople en Hongrie,pour
laquelleon
péti- tionne depuis 1870, avait toujours été pru-demment
évitée en hautlieucomme pouvant
prêterà des manifestations fâcheuses.Néan-
moins
sous le ministère Szlàvy (1872-1874), lavolonté nationale à cesujet prit corps;ily—
6-
eut des interpellations à la
Chambre hon-
groise.
Le
ministre répondit qu'il avait fait lesdémarches
nécessaires,mais que
l'ambas- sadeur d'Autriche-Hongrie près la Porte avait faitsavoirque
les cendres deRakoczy
n'existaient plus. Sous le ministère
Coloman
Tisza,
même
réponse;mais
ce ministre invi- tait les intéressés à s'assurer d'abord pareux-mêmes
et officiellement de l'existence des cendresdu
héros. Cela fut fait, et,depuis
un
certainnombre
d'années, l'église française de Saint-Benoît, à Galata, estdeve-nue un
lieu de pèlerinage patriotiquepour
les Magyars.
L'autorisation
du
transfertfut enfin accor- dée en datedu
18 avril 1904.La
Hongrieétait à ce
moment
en pleine crise parle- mentaire.On
croyait à Vienne, et lecomte
Etienne Tisza, alors présidentdu
Conseil des minis- tres hongrois, le croyait aussi,que
de faireau
sentiment hongrois cette concession tant refusée, calmerait les aspirations nationales sur les points capitauxdu
litigeaustro-hon- grois. Il n'en fut rien. Les Hongrois acceptè- rent ledon
delamain
impériale et royale avec enthousiasme et reconnaissance,mais demeurèrent
intraitables quant à leurs re- vendications politiques.Voicile texte
du
rescrit royaldu
18 avril—
7—
1904, autorisant latranslation des cendres de
Rakoczy
:«
Mon
chercomte
Tisza,parmi
lesperson- nages ayantmarqué
dans l'histoire deHon-
grie, François
Rakoczy
II est le seul dontles cendres reposent en terre étrangère ;
leurtranslation fait l'objet des
vœux
natio-naux
réitérés. »«Or, la Providence avoulu
que
lesmalen-
tendus qui,pendant
longtemps, pesèrent sur nos aïeux, n'existassent plus ; ils appar- tiennentàune époque
disparue.La
confiance réciproque entre le trône et la nation et lerègne pacifique de la Constitution restau- rée ont remis l'harmonie entre le roi et le peuple, chose,
du
reste, indispensable à l'ac- tivitéprospère. »« Sans
aucune amertume, nous pouvons donc
envisager le passé, et, dansune
piété unie, le roi et la nation peuvent rechercherle souvenir de ceux qui participèrent
aux
luttes d'antan. »
«
En
conséquence, je vous invite àvous
occuper de la translation des cendres de FrançoisRakoczy
II et àme
faire à ce sujet vos propositions. »François-Joseph,
m.
p.La
politique de LouisXIV
à l'égard deRakoczy
fut des plus habiles : au lieu de considérer, naïvement, sur lafoi desambas-
sadeurs impériaux à Paris, la Hongriecomme une
province autrichienne, quantité négligeable, il suivit les traces de Richelieu en se servant,en secretetofficieusement, des aspirations des Hongrois tendantà restaurer leurancienroyaume
confisquéparl'Autrichecomme
de leurmécontentement
toujours latent, en vue d'isoler l'Allemagne laquelle, alors, faisaitun
avec l'Autriche. Cette poli- tique,du
reste, remontait à la guerre de Trente ans et, déjà, tous les ancêtres deRakoczy
II, ducset princes de la Transylva-nie, pays qui est cette partie orientale de la
Hongrie
demeurée
indépendante etindemne
de l'accaparement autrichien, avaient été les fidèles alliés des roisde France.L'Autriche qui cherchait, et finalement
réussit, à confisquer ce dernier refuge
du
magyarisme, avait fait prisonnier FrançoisRakoczy
; il put échapper de sa prison, fomenterun
soulèvement et, en se faisant rallié de la France, se mettre à la tête d'unearmée commandée
en grande partiepar desofficiers français.
Rien
que
vaincu parl'Autriche, réfugié en Pologne, voyant toutes ses terres et sa for-tune confisquées, Rakoczy,
du
fait de cette guerre, avaitrendu un
grand service à Louis XIV. Après la paix d'Utrecht, conclue entre—
9—
la France et l'empereur,
Rakoczy
vintàVer-sailles,
où
il vécut de la vie de la cour ;Louis
XIV
l'estimaitfort etle consultait sou- ventpour
les choses de la politique exté- rieure. I.educ de Saint-Simon et lemarquis Dangeau,
ses contemporains, historiensdu temps
de Louis XIV, consacrent au prince hongrois de longues pages dans leursMé-
moires.
L'alliance de Louis
XIV
avec FrançoisRakoczy
IIfut la dernièredes troisou
quatre alliances franco-hongroises plusou moins
secrètes. Bonaparte,vers1805, essayaencore
une
fois de se servirdu mécontentement
des Hongrois à l'égard de l'Autriche, mais il s'y prit très maladroitementet ses parolespom-
peuses, adressées à la
Hongrie
sousforme
de proclamation, excitèrent,non
pas la confiance,mais
la méfiance des Hongrois en ses promesses.Il est d'usage en Hongrie,
quand on
parle, des relations entreRakoczy
et la France, d'affirmerque
LouisXIV
aurait lâché cavalièrement son allié hongrois dès qu'il n'en eut plus besoin. Cela se dit partout et cela figurecomme
vérité sacrementelledans
les livresd'école; certainement lesHongrois auraient
dû
purgerleur histoire de ce vieux fonds demensonge
allemand.Mais
on
peuttrouver naturelque
l'Autricheait intérêt à perpétuer cette erreur
parmi
—
10~
les Hongrois car cela équivaut à leur dire qu'ils ne doivent jamaisse liguer contreelle à
une
puissance étrangère et surtout pas à la France, sous peined'être trompés.Rétablissonsla vérité historique : d'abord, ainsi qu'il résulte des
Mémoires même du
prince Rakoczy, ce ne fut p;is LouisXIV
qui vint à lui, mais bien lui qui alla vers Louis XIV.
Ce
fut lui qui fità la Franceune
proposition d'alliance en s'ouvrant de ses projets à notre agent en Pologne.Et
quand
la paix fut faite entre le roi de France et l'empereur, quel fut son sort? ilvint vivre à Paris, la France lui fit
une
pension et le protégea contre les espions impériaux rôdant autour de sa personne.A
moins que
les Hongrois n'exigentque
le roide France eût
dû
continuer la guerre avec l'Autriche, lorsque la paix lui était utile,uniquement pour
favoriser leurs intérêts,chose qui est
un
non-sens en matière diplo- matique, LouisXIV
ne devait à Rakoczy, après la paix d'Ullrecht,que
l'hospitalité large et sans soucis matériels sur leterritoire français.On
peut dire qu'il remplit brillam-ment
etgénéreusement
ce devoir.A
son arrivée en France, LouisXIV
fitaussitôt à
Rakoczy
100.000 livres de rente, puis lui accorda 40.000livres paran, à titre d'entretien de sa cour, etpour
être distri-buées à son gré
parmi
ses partisans dont—
11—
les biens en Hongrie étaient confisqués.
La
France payaitdonc
lui etmême
ses amis.Ces faits,
empruntés
à son testament, sont confirmés dans lesMémoires du duc
de Saint-Simon.Mais avant
même
qu'il vint en France, LouisXIV
lui avait acheté de la Reine Marie dePolognelamoitiédeterredeJéraslaw, sanscompter
les 12.000 livres de rentes qu'il luifit pendant son séjour en Pologne;
pendant
la guerre
même,
la France fit à Rakocz}»^ cin- quante mille livres de subside par mois.De
ce fait, à la fin de la guerre, la France devait à
Rakoczy
600.000 livres.A
son arrivée à Paris leroi plaça celtesomme
surlamaison
de ville à Paris (on dirait aujourd'hui en obligations de la ville de Paris).Après avoir passé en Turquie, en 1717, très
imprudemment, du
reste, car rien nel'obligeait de
nous
quitter, sinon l'espoir derecommencer
la guerre contre l'Autriche, sous la bannière turque, le prince se fitvoler par son
homme
d'affaires à Paris.Rakoczy
le fit mettre à la Bastille,où
il secoupa
la gorge : en échange de cette perte, qui s'élevaità 82.000livres,Rakoczy
acceptaune
pension de 6.000 livres.A
l'occasiondelagrande réductiondespen- sionsquifutpratiquéependant
laminoritéde LouisXV,
ni leduc
d'Orléansniaucun
autre ministre ne touchèrentaux
100.000livres ac--^ 12
—
cordéespar Louis XIV, disant
que
les subsi- desnesedonnaient qu'auxprinces étrangers.Cet égardcessa sous leministère
du
cardinal Fleury; la rente fut réduite de 100.000 à 60.000 livres et la rente spéciale de 40.000 livres,pour
l'entretien de ses partisans, futcomplètement
supprimée.Tout
le testament deRakoczy
quiest de 1732, porte sur lessommes que
laFrance
lui doit
du
fait de ces réductions, dont il se plaintamèrement
et qu'il trouve injustes;aussi
en
dispose-t-il; tout fut payé par le trésor français, les exécuteurs testamentaires furent leduc
deBourbon,
lecomte
deCha-
rolais, le
comte
de Toulouse et l'ambassa- deur de France à Constantinople.Même
sesdeux
fils Joseph et Georges touchaient leur vie durantune
rente sur l'Etat français;Joseph touchait 20.000 francs et
mourut
en France ; son corps futinhumé
à Saint-Denis près Paris.II
La dernière
alliancefranco=hongroise
racontée en français
par le prince François
Hakoczy
IIlui-même
•
Pendant
sa longue retraite en France leprince
Rakoczy
abeaucoup
écrit; il fut cer- tainement cheznous un
des premiers vul- garisateurs sérieux de son pa3's. Il connais- sait la pensée française, il maniait assez bien la langue française et son style dénoteun
esprit fort cultivé ; les seuls ouvrages qui aient paru officiellement sous sonnom
sont ses Mémoires et son Testament,
mais
ces
deux
opuscules forment l'annexe d'une Histoire des Révolutions de Hongrie parue àLa Haye
en 1739, dont il y a tout lieu de supposer qu'il estl'auteur,bienque
les cata- loguesdu
xviue siècle l'attribuent à l'abbé Bremier. Cetabbé
n'en futque
le metteur au point, attenduque
toutle récit indiqueque
l'auteur est
un
Hongroisintimement mêlé
à la politique de
Rakoczy
;du
reste, lemonde
des historiens a toujours considéréRakoczy comme
l'auteur de cettefameuse
Histoire; c'est exactement le
même
styleque
celui des
Mémoires
; dans ces Mémoires,—
14—
Rakoczy
parle des Confessions qu'il aurait écrites et de quelques ouvrages ascétiques sortis de saplume pendant
son séjour en Turquie.C'est à cesMémoires de
Rakoczy que nous empruntons
les passages etdocuments
del'alliance franco-hongroise qui suivent.
IlestdetraditionenHongrie,
nous
ledisons plus haut,deconsidérerFrançoisRakoczy un peu comme une
victime de lamauvaise
foi française ;on
reproche à LouisXIV
d'avoir« lâché »
Rakoczy
lorsqu'il n'en avait plus besoin.On
verra au contraire^ par lesaveux du
Prince,que
la France s'estbeaucoup
fait« tirer l'oreille »,
comme on
dit,pour mar-
cherdanslesensdelapolitiquerakoczienne;que, soit inertie, soit ignorance, soit intri-
gues autrichiennes, le grand Roi à Versailles était très difficile à ébranler, et
que
toute l'initiative venait de Rakoczy. Ceci constaté,nous
avons en outre lespreuves qu'au point devue
matériel,une
fois l'alliance franco- hongroisedevenue
sans objet,Rakoczy
n'eut guère à se plaindre de la générosité de la France ; certainement, la France a toujourscompris
que
lorsqu'un pays se sert d'étrangers, les usages internationaux les plus élémentaires veulent qu'on lesrécom-
pense, etque
: noblesse oblige.Voici
comment Rakoczy
débute dans ses Mémoires :—
15—
Je ne crains pointdedéclareringénumentdevant vous, ô Vérité éternelle à quij'ai dédié ces Mémoi-
res, que le seulamour de la Liberté et le désir de délivrer
ma
Patrie d'un jougétrangerfut le but de toutesmes actions.C'est pourquoi, dèsqu'étantsortide prison(autri- chienne) tous mes conseils tendirent à mettre au profitde notre Patrie les conjonctures de lagrande guerre qui menaçait l'Europe.
Comme
nos espé- rancesen l'appui du roi Auguste de Pologne deve- naient vaines, il neme
restaitd'autre espoir qu'enlaprotection et auxsecours du Roi de France, en vertudestraitésconclus autrefoisavec
mon
bisaïeul George Rakoczy le', qui s'étendaient aussi sur ses successeurs, garantissaient le maintien dema
Mai- son dans la principauté de Transylvanie en cas d'élection. Mais,me
trouvant destitué de l'Instru-mentauthentique de cette alliance conclue avec la
France et d'une semblable avec la Suède, je
me
flattais que la mémoirede ces Traités leur pourrait bien servir de motifs; mais que les circonstances des affaires opéreraient encore davantage. C'est pourquoi, m'appuyant sur ce fondement, je m'ou- vrisau marquis du Héron, alorsEnvoyé deFrance à la Cour de Pologne; je le priai d'exposer
mon
desseinau Roi son Maître. Avant
ma
délivrancede prison, et avantmon
arrivée en Pologne, le comte Bersény, le compagnon demon
sort, avait instruit le Roi de Pologne, aussi bienquelesusdit Ministre, des moyens,desfacilités etdes avantagesquirésul- teraient d'entreprendre une guerre en Hongrie; ce qui fitque cetEnvoyé étaitdéjà prévenu en faveur denotre projet.Cependant, parce que la guerre, déjàcommencée en Italie sous le
nom
du Roi d'Espagne, par un conseil assez hors de saison,comme
il a paru depuis, n'avaitpas encore alors été déclarée de la part du Roi Très Chrétien, ce Ministreme
déclara—
16—
que, parcetteraison, leRoi son Maître ne pouvait
me
prendre ouvertement sous sa protection; mais au'il ferait toutle nécessaire pour la conservation ema
personne; qu'ilfallaitainsi,en attendantquelaguerre éclatât entrelaFranceetl'Empereur,que
je
me
tinsse caché sous l'aimable protection de quelquesGrands de Pologne. Cette propositionme
découvrit, dès le commencement des affaires, de combien peude poids était lamémoire del'Alliance ci-dessus mentionnée. Mais parce que le Roi de Pologne et la plus grande partie des Grands dece
royaume étaient dans le parti de l'Empereur, tout étaitplein de périlspourmoi.
Dansl'espacede deuxans, lemarquis de Héron,
mon
Ami fortattaché, fut subitement arrêtéà Var- sovie et renvoyé en France par ordre du Roi de Pologne,surles soupçons descorrespondancesque ce Ministre devait avoireuesavec le Roi de Suède.Pour remplir son Ministère, le marquis de Bonac
fut destiné Résident à Dantzig. Celui-ci avait déjà eu ordre du Roi son Maître d'avoir soin de nous et denous donner pour subsides annuelsdouze mille livres de France à moi et huit mille au comte de Bersény (Berchényi). Mais pour ce qiii regardait l'affaire essentielle de commencer la guerre en Hongrie, toutallait lentement, ayant à traiteravec un Ministre qui m'était inconnu, et la Cour de France n'ayant pas
même
conçu l'espérance qu'on pût effectuer ce que j'avais avancé. Mes proposi- tions consistaientdansles points suivants: 1)Qu'ontînt prêt, à Dantzig, de l'argent, des officiers mili- taireset toutes sortes d'armes;//) que les Grands de Pologne fussentdisposés à lever 4.000 chevaux
etautantde fantassinsaveclesquelsjepusseentrer en Hongrie.
Mais ces projets, quoique proposés avec des éclaircissements qui en démontraient la facilité et l'avantage, étant traités avec un Ministre et une
—
17—
Cour qui ignoraient les affairesde Hongrie, à peine lesregardait-on
comme
possibles; etquoiqu'ils ne furent(sic)pasrejettes,oncrut plutôtqu'ilsvenaient du désespoir ou d'un dessein de se porter à toute extrémité.C'est ainsi que s'écoulèrent les deux ans de
mon
exil en Pologne.
Surces entrefaites, le
mécontentement, dû
à la misère, éclate en Hongrie ; Rakoczy, qui est caché en Pologne dans les terres de
la Palatine de Belz, envoie Berchényi à Dantzig
pour
traiter avec lemarquis
de Bonac, lui faire part de l'intentiondu
prince d'intervenir et le conjurer « d'aider par quelquesomme
considérable d'argentune
entreprise si importante qui pouvait avoir de grandes suites ».En
attendant, plusieurs milliers de Hongrois enarmes campent aux
trontières de Hongrie en appellant
Rakoczy
;le
mécontentement
arriveaucomble
(1703)etRakoczy
intervient sans attendre la réponse de l'ambassadeur deFrance
enPologne
:Peude temps après,lecomte Bersényayant heu- reusementachevé sonvoyage àVarsovie,
me
joignit en m'annonçant deux compagnies de Valaques et quatre de dragons polonais. L'envoyé de Franceme
fitassurer qu'il nous ferait bientôt tenir 5.000 sequins.Toutela Hongrie était pleine de peuple qui cou-
rait aux armes. La Cour de Vienne, étonnée d'un empressement si inopiné et si prompt, ou plutôt de cedébordement de milice populaire, pressée de tout côté etdénuéede conseils,nesavait quel parti
—
18-
prendre, l'Electeur de Bavière, secondé des forces delaFrance,
comme
ilme
souvient del'avoir pré- dit, s'étant rendu maître de Passau et de Lintz,danslaHaute-Autriche, menaçait Vienne.
Le
succèsdeRakoczy
en Hongrie porte laFrance à s'intéresser davantage à son entre- prise, et
pour
les premiersmois
de 1704, ilraconte :
Il était arrivé de Pologne à Miskolcz quelques officiers et ingénieurs français, avec un gentil-
homme
dela part du Roi de France,nommé
Fier- ville, envoyé avec des lettres de créances pour résiderauprès de moi.Le marquis Desalleurs, lieutenant général des armées duRoi de France, ayanttraversélaTurquie pour
me
joindre, arriva au campdu comteForgaiz, et lui laissa Damoiseau, ingénieur brigadier, pour conduire le siège de Medgyes, ville saxonne assez bien fortifiée et défendue par une bonne garnison allemande, siège queForgatz avaitdessein defaire et entrepris peu après. Il fut plus long et plus meurtrierqu'il n'eûtdû être si le général n'eût pasfait changer les batteries, contre l'avis deDamoi- seau, qui demanda à êtrerappelé.
Le marquisDesalleurs,ayanttraversé laTransyl- vanie,
me
joignit à Agria (Eger).Je le reçus dans une audience publiquecomme
envoyé du RoiTrès Chrétien. Ilme
délivra la lettre du Roi etm'assura de sa protection. J'aurais cru qu'il m'apporterait des armes, desofficiers etdel'argent,mais'iln'étaitaccompagné que de deux ingénieurs brigadiers, Le Maire et Damoiseau. Dans l'entrevue secrète, il
me
présenta un Mémoire rempli de questions surl'état
dela guerre,lesplaces,lesarsenaux,etc.J'ydonnai
ma
réponse en deux heures, ce qui le surprit. Ce-
19—
général étaitd'un âgefort avancé,maisassez vigou- reux; il entendaitlaguerre,ilétait sobre etpatient, d'une conversation agréable et fort spirituel, mais caustique; il ne parlait que sa langue, il ne faisait
aucune dépense et il ne traitaitpas avec moins de froideur les intérêts de son roi que ceux de la nation hongroise; il donnait dans les préjugés les plus populaires etnegardait pourelleaucun ména- gement devant le peu d'officiers français qui lui faisaient la cour. Cela fit un très mauvais effetpar
la suite. Les avisetles projetsdece général étaient bons, mais impraticables à cause tle l'ignorance générale de la nation hongroise quant aux véri- tables principes de la guerre et faute d'officiers.
J'ai rapporté la cause du premier, il est aisé de rendre le second sensible.
On me
dit, et je crus aisément,que,par rapport auxgrandes armées quela Francetenait sur pied, le Roi lui-mêmeavait de
la peine àtrouver le nombre demestroupes suffi- sant.
J'ai déjà dit que le marquis Desalleurs n'avait
amené que deux ingénieurs. Le marquis de Bonac m'avait envoyéle chevalier de Fierville d'Herissy, fort honnête
homme
et aimé de toute la nation hongroise, à cause de sa douceur etde sesbonnes manières ; mais ce gentilhomme n'avait jamais servi que de grand mousquetaire. Le colonel La Mothe n'avait été qu'un aide-de-camp du maréchal Vauban, où il apprit quelque pratique dans le génie. C'était unhomme
plein de feu, impatient, impétueux, mais il faisait bien son devoir. De Ri- vière était protestant français, honnêtehomme
et assez bon ingénieur. Barsonville et Saint-Just se mêlaient aussi de génie; ils avaientété capitaines auserviceduroiAuguste.Jene sais s'ils ontjamais servi d'officiers en France. Le premier partitsans congé au bout d'environ deux ans ; le second demanda le sien avant l'année finie. D'Absac avait—
20-
servi en France de lieutenant, sijene
me
trompe;Bonafouxétait Françaisréfugié; Ghaffanavait aussi servi chez le roi Auguste. L'un et l'autre étaient bons officiers, mais si
même
ilseussentété lesplus valeureux et les plus accomplis, ils n'eussent pas été moins embarrassés, puisque chacun manquait de capitaines etdelieutenantsdansleurs régiments.Ceuxqui venaient de Constantinopleou de Pologne avec des recommandations hasardées des marquis de Férise et de Bonac, étaient des étourdis qui empruntaient des noms pour profiter des brevets volésà leurs maîtres, officiersen France.Ilsdésho- noraient leur nation parleurconduite et causaient del'éloignement pour elle auxHongrois. Dès qu'ils voyaient qu'ils ne pouvaient pas vivre à leurfan- taisie, ils demandaient leur congé pour retourner en Pologne, où ils s'attachaient à différents partis
pourfairece qu'ils voulaient.
Rakoczy
possédait aussiune compagnie
de grenadiers français.Au
cours des opé- rations le prince est souvent accusé par son entourage, qui ne connaît de l'art de la guerreque
des procédés rustiques, d'être trop français en matière de tactique.L'Au-
triche lui offrit la paix avec
un duché
en Empire,s'ilvoulait renoncerà laHongrie; ilrefuse etl'empereur Josephluifaitrépondre :
«
Hé
bien1 Prince, vous vous fiez aux pro-« messes de la France, qui est l'hôpital des
« princes qu'elle a rendus
malheureux
par« le
manquement
à sa parole et à ses enga-« gements, vous serez
du nombre
et vous« y mourrez. » Il répondit qu'il n'exami- nait pas la conduite de la France en cela,
—
21—
mais son devoir envers son pays seulement.
Enfin Rakoczy, en 1710, dut faire lapaix en Hongrie, son entreprise avait échoué.
Peu
à peu, ses partisans et les principales villes l'abandonnèrentun
àun pour
passer à l'Autriche. Il termineainsi sesMémoires
:Telle futla fin dela guerre de Hongrie. Plusieurs raisons m'ont empêché de rapporter dans ces mémoires les négociations étrangèresquej'ai entre- prises pendantcetteguerre.LasituationdesafTaires de l'Europe etcelle de la Hongrie furent un grand obstacleà leur réussite. Le secoursleplus efficace, le plus aisé, le plus convenable de part et d'autre, eût été celui des Français par la mer Adriatique.
L'année que l'Armée du Roi Très Chrétien com- mandée par le duc de Vendôme, campait sur ses côtes, j'avais envoyé en Croatie Vajowitz natif de ce pays, pour s'emparerde quelque petitposte par
le moyen de ses parents et amis. Il fut à l'armée du duc de Vendôme; mais il obtint pour réponse qu'on avait promis aux Vénitiens de ne pas faire entrer de bâtiments armés dans leur golfe. Parle
secours du czar, à la fin de la guerre, avec une armée victorieuse, rien n'eût été plus aisé que de ramenerles Allemands battantjusqu'aux portes de Vienne.
On
a vu que la France avait à la fin con- senti à mes propositions, maison tarda trop à les exécuter. Je n'ajouterai à ces mémoires aucune recherche, pourquoi Louis XIV, de glorieuse mé- moire, un roi si éclairé, a si fortnégligé les offres que le czar fit à ce monarque précisément à cette occasion, car dans ces rencontres, ainsi que dansles événements de
ma
vie, j'ai reconnu la grande vérité : que l'homme propose et Dieu dispose.A
Lui soient louangeet gloire entous les siècles.
Signature de Fi'ançois Rakoczy
III
Les relations personnelles entre Louis
XIV
et le princeFrançois
Rakoczy
IIRakoczy, aprèsl'issue
malheureuse
de sacampagne
en Hongrie, n'eut d'autre res-source
que
la France.Ayant pu
échapper, à travers la Pologne,aux
poursuites de l'empereur, privé de toute ressource, ayant toutesa fortune confisquée, ils'embarqua
à Dantzig,pour
venir se réfugier auprès deLous XIV
qui lui devait bien cette hospi-talité.
Or, l'histoire de ce séjourde
Rakoczy
à lacour de Versailles est presque
inconnue
encore devant le public ; jusqu'icion
ne possédait sur ce sujetque
lesdonnées que
contiennent lesMémoires du duc
de Saint-Simon
et les papiers politiques inéditsdu
fondsHongrieaux
Archivesdu
ministère desaffaires étrangères deParis. Saint-Simonest
sobre de détails ets'en tient
aux
généralités, et lespapiersdu
quaid'Orsaysontd'un ordre trop diplomatique et trop aridepour
jeter quelque lumière surlavieprivée deRakoczy
à la cour. Mais cette pénurie de renseigne-ments
a disj^arudepuislapublication,authen-—
23-
tique et intégrale,
du
Journaldu fameux marquis Dangeau,
lejoueurheureux
etcour- tisan infatué de la cour de Versailles.On
a ditbeaucoup
demal du
Journal deDangeau
;Voltaire qui,du
reste, n'en avaitvu que
des extraits frelatés et des faux, lui reprochait de n'avoir consignéque
des détails dignes de l'attention d'un valet dechambre.
Cependant, autant en ce qui con- cerne Rakoczy,quifut d'ailleurs l'amiintime deDangeau, que pour
toute l'histoiredu
règne de LouisXIV
etde LouisXV
engénéral,ilfautconstater
que
le trèsvaniteuxmarquis, dont Boileau s'est tantmoqué
et dont laMontespan
disait qu'on ne pouvait s'em- pêcherd'enrire etdel'aimer,vientcomplétertrès
heureusement
lesMémoires
de Saint-Simon.
D'abord, quelles furent les attaches qui liaient
Dangeau
au célèbrechef des rebelles hongrois? Saint-Simon vanous
le dire :«Ragotzillavaitépousé, enseptembre1694, CharlotteAmélie,fille deCharles,
Landgrave
de Hesse-RhinfelsWanfried
et d'unecom-
tesse de Linange; il était
donc
gendredu
beau-frère delàmarquise
deDangeau. Aussi M'neDangeau, quiétaittouteAllemande,toute à sa parenté allemande, mit-elle aussitôt Ragotzi dans labonne
compagnie. »Dès
l'annoncede sonarrivée,lesDangeau
s'intéressent àRakoczy, et le
marquis
consi-—
24—
gnesurson Journallesnouvelles qui arrivent à Versailles à son sujet.
Ainsi,
on
lit sous la datedu
7novembre
1712 : «
Le
prince Rakoczi s'estembarqué
à Dantzigsur
un
vaisseau anglaispour
venir en France.On
croit qu'il sera à Versailles à lafm du
mois. » MaisRakoczy
n'arrive point à cette date parce qu'on avait appris qu'il avait été poussé par la tempêteen
Ecosse,où on
voulait lui faire faire la qua- rantaine. « Il n'arriveradonc
pas de sitôt,ajoute
Dangeau.
»En
datedu
16janvierl713,onlit:«Le
princeRakoczy
est arrivé d'Angleterre àRouen
et sera à Parismardi ou
mercredi prochain.M.
deLuxembourg,
qui est àRouen,
avait écrit à Parispour
savoircomment
il le recevrait, et le roi lui avaitmandé
qu'il serait incognito et qu'il fallait le recevoir seulementcomme un homme
de grande qualité qui mériterait d'être bien reçu en France.De Luxembourg
le reçutdonc
sans honneurs, mais avec les civilités les plus distinguées, le logea, le défraya et lui prêta samaison
à Paris,où
cependant le prince n'arrivaque
le 26 janvier, ayant été obligé dedemeurer
àRouen
à cause d'un accèsde goutte quil'avait pris. »Voici
donc
tranchée la grande question dela date de l'arrivée de
Rakoczy
en France.Quinze
jours après,le13février,«Rakoczy
—
25—
estreçu par LouisXIV.
Le
roidonna
d'abord audienceaux
députés de Bretagne. Aprèscette audience, il envoie chercher
Rakoczy
qui était danslachambre
deDangeau
etqui savait qu'il allait être reçu.Le baron
de Breteuil, introducteur des ambassadeurs, lemena
par le petit degré quimène
au petitappartement
du
roi, etquand
il fut entré dans le cabinetoù
était le roi, lebaron
de Breteuil seretira ; il n'y avait avecleroique
de Torcy, ministre des affaires étrangères.L'audience ne fut pas longue,
mais
le prince Rakoczy, quiremonta
dans lachambre
deDangeau,
en parut très content, et le roi, qui alla sepromener
à Marly aussitôt après diner, en parla très avantageusement. »Rakoczy,
vu
la paix d'Utrecht (avril 1713) qui se préparait entre la France et l'empe- reur, était à Versailles dansun
incognito parfait, et se faisait appeler lecomte
de Saros, d'aprèsun comté
auprèsd'Eperies, en Hongrie.Ilnevitpasencérémonie
lesprinces ni lesprincesses;mais Madame,
avec qui il«avait l'honneurd'avoirquelque alliance, le
voulutvoir, et il alla chez elle à onze heures sans être
mené
parun
introducteur. »«
M. deTorcy
luidonna un
magnifiquedîneroù
l'ondîna, plusieurs courtisansetquelques dames, aveclui et tous lui trouvèrentbeau-coup
d'esprit et de connaissances.»«
Mme Dangeau,
dit leduc
de Saint-Simon26
àsontour,étaitfavoritede
M^e
de Maintenon,fort bien avec le roi et de toutes leurs par-
ties et particularités.
Dangeau, répandu
toute sa vie dans le plus grandmonde
etdans la meilleure
compagnie
de la cour,en
était enivré; il se mirait littéralement dans tout ce à quoi il était parvenu. Il nageait dans la grandeur dela proche parenté de sa
femme. Tous deux
firent bientôt leurpropre chose deRakoczy
qui ne connaissait per-sonne
à la cour et qui eut lebon
esprit de se jeterà eux. Ils le conduisirent très bien.Non
seulement, il ne prétendit rien,mais
iln'affectaquoi
que
ce soit, et,par là,il se con-cilia tout le
monde
en le mettant à son aiseavec lui et soi avec tous.On
luien
sut gré dans ce pays si tort en proieaux
pré- tentions et il en reçut cent fois plus de considération et dedistinction. »«
Dangeau
qui tenaitchezluiune
grandeetbonne
table et qui vivait avec le plusdistin- gué et le plus choisi, mitpeu
à peu,mais promptement, Rakoczy
dans labonne com-
pagnie. Il prit avec elle et bientôtil fut de touteslesparties et de toutavectout ce qu'il
y
avaitdemeilleur à laCour
etsans mélange.M'^c
Dangeau
luigagna
entièrement M^'e de Maintenon, et par elleM. du
Maine.Le
goût à lamode
de la chasse, avec quelquessoins, luifamiliarisa Mr. lecomte
de Toulousejus- qu'àdevenirpeu
àpeu
sonami
particulier. »—
21—
Rappelons que
leduc du Maine
et lecomte
de Toulouse étaient les fils reconnus et légi-timés de Louis
XIV
et de laMontespan.((. 11 vint ainsi à bout de faire, de ces
deux
frères, son conseil
pour
sa conduite auprèsdu
roi et lescanaux pour
tout ce qu'il en put désirer de privances et de ces sortes de distinction de familiarités personnelles et de familiarités d'égard qui sont indépendantesdu
rang.Avec
ces secours et qui ne tardè- rent pas, il fut de toutes les chasses et de toutes les parties, detous les voyagesà Mar-ly, mais
demandant comme
lesautres cour- tisans; il ne sortit presque point de la cour, y voyant le roi assidûment, mais sans con- trainteaux
heures publiqueset trèsrarement sansque
le roi cherchât à lui parler et seul dans son cabinet dès qu'il en désirait des audiences,mais
sur quoi il était fort dis- cret. »Voici le portrait au physique
comme
aumoral que
faitSaint-Simondu
grand Magyar.«
Rakoczy
était d'une forte taille, sans rien de trop, bien fourni sans êtregros, trèspro- portionné et fort bien fait, l'airfort,robuste ettrès noble, jusqu'àêtreimposant
sansrien de rude; le visage assez agréable et toute laphysionomie
tartare. C'étaitun homme mo-
deste, sage, mesuré, defort
peu
d'esprit, (dit Saint-Simon),mais
touttourné aubon
etau
sensé ; d'unegrandepolitesse,mais
assezdis-—
28 --tingué selon les personnes ; d'une
grande
aisance avec tout lemonde,
et enmême
temps, ce qui est rare ensemble, avec beau-
coup
de dignité, sans nulle chose dans ses manières qui sentit le glorieux. »« Il ne parlait pas beaucoupj fournissait pourtant à la conversation et rendait très bien ce qu'il avait
vu
sansjamais parler desoi.Unforthonnétehomme,droit,
vrai,extrê-mement
brave, fort, craignant Dieu, sans lemontrer, sanslecacheraussi, avec
beaucoup
de simplicité.En
secret,ildonnaitbeaucoup aux
pauvres, destemps
considérables à la prières ; ileut bientôtune nombreuse maison
qu'il tint
pour
lesmœurs,
les dépenses et l'exactitudedu paiement
dans la dernière règle et tout cela avec douceur. C'étaitun
très
bon homme
et fort aimable etcommode pour
lecommerce,
mais, après l'avoirvu de près,on
demeurait dans l'étonnement qu'il eût été le chef d'ungrand
parti et qu'il eûtfait tant de bruit dans le
monde.
»«