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A.3 Sauver l’objet technique en le des-

Simondon opte pour la seconde option : il tente de sau-ver le système industriel en faisant changer la technicité d’échelle. La résolution du problème de la commensura-bilité à l’homme de l’objet technique individuel se fait, encore une fois, grâce à une analyse de type scalaire : la technicité est déplacée de l’individu au couple élément/-réseau. Tandis que l’objet individuel de consommation, fermé pour les résolutions expliquées plus haut, ne recèle plus qu’une technicité minime, la technicité « pure » est à trouver dans l’élément (« micro-échelle ») et le réseau (« macro-échelle »).

Ce changement d’échelle induit une profonde modifi-cation de la conception de l’objet technique pour Simon-don : ce dernier se détache de la notion d’objet technique

31. Ces solutions ne sont pas formulées explicitement par Simon-don, mais nous tenions à situer les options théoriques de ce dernier dans un cadre plus général. Cela montre aussi « l’optimisme » [35]

technologique propre à Simondon : il s’agit de réformer les choses en les prenant telles qu’elles sont, sans renier en bloc le présent).

comme représentant de la technicité, et réhabilite la tech-nicité de l’élément et celle du réseau. Ce n’est donc plus l’objet qui est compris comme paradigme de la techni-cité. Un tel déplacement est caractéristique de la pensée de Simondon, pour lequel compte moins l’analyse ex-clusive des objets techniques que celle de la technicité qui les traverse32. Le retournement est d’autant plus im-portant que Simondon part d’une analyse première de l’objet technique (comme l’indique le titre du MEOT) pour aboutir à une remise en question de la pertinence de cette échelle via une analyse psychosociale, quelques années plus tard, des liens de l’homme avec les objets, qui l’oblige à déplacer la localisation de la technicité.

C’est au prix de cet effort conceptuel que Simondon arrive à un résultat paradoxal : pour sauver l’objet tech-nique industriel et son ouverture, il le destitue. Ce n’est plus ce dernier qui est le tenant de la technicité, mais les éléments qui le constituent, ainsi que le réseau qui per-met la distribution de ces éléments. L’homme accède à un niveau de technicité qui ne se situe pas à son échelle : c’est « précisément ce qui échappe à l’ordre humain de grandeur qui se développe avec la plus faible charge de surhistoricité. » Ainsi, « la technicité vraie est un carac-tère du réseau d’objets et non de l’objet. »

Simondon cherche à rendre de nouveau ouverts les ob-jets industriels en situant leur technicité non à l’échelle de l’objet, mais à celle de l’élément et du réseau qui relie ces éléments entre eux. Simondon pense avec son époque (qui est encore la nôtre) : le mode de produc-tion industriel des objets et son corrélat, la société de

32. On l’a dit, philosophie de la technique de Simondon est avant tout une pensée de la technicité et non de l’objet technique, malgré ce que pourrait laisser entendre le titre du MEOT : voir I.A.1.

III.A. LE PROBLÈME DE L’OBJET TECHNIQUE INDUSTRIEL 133 consommation, y sont dominants. L’idée de « libération de l’élément » est avancée pour sauvegarder l’unité de la culture au niveau industriel.

Mais peut-on considérer que la « libération de l’élé-ment » est menée jusqu’au bout dans le cadre du système industriel ? Permet-elle réellement l’unité de la culture ? Les exemples employés par Simondon, issus du système industriel (pièces détachées de voiture), sont, de l’aveu propre de l’auteur, peu visibles. Ils sont imbriqués dans des individus techniques complexes, peu accessibles aux utilisateurs : ni la chaîne de montage ni la pièce située dans l’automobile ne sont directement accessibles ou mo-difiables. La solution proposée par Simondon, en ren-voyant l’ouverture aux éléments et au réseau, condamne l’échelle de l’objet à la clôture33.

Une question se pose alors : qu’en est-il alors de l’idéal des machines à marge d’indétermination du MEOT, per-mettant une collaboration, un couplage entre l’ensemble technique des machines et l’homme ? Peut-on restituer l’ouverture de l’individu dans le cadre d’un système in-dustriel ? Simondon n’apporte pas de réponse à de telles interrogations. Il émet seulement un vœu ; il faudrait idéalement que le terme médian, l’objet individuel, puisse s’ouvrir de nouveau :

« La reconstitution de l’unité de la culture de-manderait que l’échelon intermédiaire, abandonnant sa charge de surhistoricité, soit lui aussi pénétré de

33. Une clôture s’effectuant via des « opérations irréversibles » :

« la soudure, le collage, le rivetage » (PST, p.64). Les propriétés matérielles (voir II.A.1) de l’objet technique empêchent de le rouvrir une fois que ses parties sont soudées.

technicité, ce qui peut être rendu possible par l’in-fluence des deux autres ordres de grandeur. »34

Une telle impasse existe encore à notre époque au ni-veau du mode de production industriel des objets tech-niques. Notre objet d’étude, pourtant, de par sa configu-ration technique hybride à la croisée de la matérialité et de l’immatérialité, ne répond plus exactement au système de production industriel ; il permettrait alors une ouver-ture de l’objet plus complète, l’apparition du « terme médian » souhaité par Simondon, que le système indus-triel, intrinsèquement dépendant de la matérialité de ses objets, ne pouvait produire. Il nous faut maintenant ana-lyser les possibilités d’une telle configuration, ainsi que ses enjeux.

III.B La promesse d’ouverture du